Carnet de voyage (Rennes en délires q10)

Chapitre XVI : LE ZOO RENNAIS 10 : Carnet de voyage

J'écris de l'aéroport. On vient d'annoncer qu'à cause des perturbations au-dessus de la Méditerranée mon avion aurait du retard. J'ai donc trois heures à attendre. En fouillant dans mes poches je retrouve les deux seuls billets qui me restent. Et cela me rappelle, bizarrement, mes anciens jours à Rennes.

Il y avait à l'époque je ne sais combien de dromadaires dans les rues de cette ville. Je m'amusais à les compter au fil de mes déambulations. J'étais peut-être le seul à les remarquer. Dans cette ville si fonctionnelle où les étudiants étudiaient, où les commerçants commerçaient, où les fonctionnaires fonctionnaient, j'étais peut-être le seul à regarder partout avec des yeux d'enfant les merveilles qui s'offraient au gré des promenades.

J'aurais pu pendant des heures parcourir la ville à la recherche de palmiers, de personnages enturbannés, d'êtres mythologiques, d'animaux bien typiques, bien typés. Une Méditerranée chaleureuse, souriante, colorée, exotique me tendait les bras un peu partout à chaque instant.

Corto Maltese habitait alors place Saint-Michel. Les palmiers de l'Oriental, un peu plus loin étaient bleus.

En haut de la place des Lices le chameau du Khalifa avait trois bosses. Pouvait-on encore, dans ces conditions, l'appeler chameau ?

Rue de la Monnaie un lion de l'Atlas avait échappé royalement aux tirs furieux de Tartarin de Tarascon. Il s'était posé, reposé, près de la cathédrale, non loin du célèbre "Nez-Rouge" qui avait appartenu à Nasr Eddin Hodja, le clown magique de mon enfance.

Un temps j'avais croisé, sur le quai d'Ille et Rance, le cyclope d'Ulysse. Et puis un beau jour, plus personne.

Il fait chaud dans l'aéroport. Que fait ce dromadaire dans le fond de l'Enfer ? Dans cette ville d'incendiaires involontaires le dieu Hermès était partout, brassant du vent et des affaires, soufflant sur toutes les braises pour faire son commerce. C'est lui, disait-on, qui avait inventé le slogan de la ville : "Vivre en Intelligence".

Hélios et Minos, les restaurants grecs étaient bleus et blancs pour mieux évoquer les Cyclades, ces îles d'escaliers, de dos d'âne et de chats, arrosées de rétsina ou d'ouzo.

Les dromadaires de la rue Saint-Mélaine, personne ne les voyait. Rue des Fossés, ceux de la librairie "Vagabondages" nous emmenaient encore plus au Sud, "toujours plus loin" comme aurait dit Corto.

Il fait chaud dans l'aéroport. Ma mémoire me joue des tours. Etait ce rue des Trente ou boulevard de Sébastopol que se trouvait le hammam ? Ou n'étaient-ce que des bains-douches à l'entrée desquels on laissait ses bretonnes babouches ?

Je me souviens encore de cette jeune fille aux cheveux noirs. Elle m'avait suivi, elle voulait partir, abandonner tout, changer de vie. J'étais dans les zouaves, à l'époque. Je l'ai emmenée de ce côté-ci de la mer. je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Je me souviens qu'elle voulait suivre les traces d'un certain Rambo ou Rimbaud, un homme qui aurait eu des semelle de vent...Quelle connerie ! Je me suis débarrassé d'elle très vite en la vendant à un sultan pour son harem. Mais c'était il y a très longtemps. Son portrait est peut-être accroché aux cimaises d'un musée maintenant, allez savoir !

Il fait chaud dans l'aéroport. Sur le billet de cinq dinars, c'est bien l'Enfer, cette partie inclinée du jardin du Thabor, qui est représenté. Que fait ce dromadaire dans le fond de l'Enfer ? Peu importe, tout ça, c'est de l'histoire ancienne et moi je n'ai aucun remords. Et puis... c'est terriblement loin, Rennes.

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