Florent
Fouillemerde
Agence Fiat Panda 4, rue des Petits-Champs 35000 RENNES
M. Ferdinand FLURE
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Rennes, le 5 décembre 2000
Mon cher Ferdinand
Je suis en train de péter les plombs. Je ne sais plus pourquoi on me paye. Je ne fais plus ce pour quoi on me paye. Et mon employeur a une vision élastique du temps et de l'argent. Sans compter ces histoires de mariage. Et cette fille que personne ne connaît. Mais je devrais être plus clair sinon tu vas encore dire que je manque de méthode, Ferdinand.
Tout d'abord, sache que je ne vis plus seul : je me suis mis en ménage avec Isabelle, la petite dame blonde des soirées lectures et des randonnées
J'aurais pu te raconter notre virée à Redon en juillet dernier
pour écouter Michel Tonnerre. Et aussi nos retrouvailles à
Lorient pour le Festival interceltique, je t'en avais
glissé deux mots. L'histoire des piquets de la tente oubliés
sur le balcon et la nuit dans la caravane et le concert de Dan Ar Braz
et celui d'Alan Stivell aux Tombées de la Nuit. Voilà déjà
un an que je me bretonnise…
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L'Agence Fiat Panda tourne bien… C'était normal quand même que je trouve une âme sœur ici. Toutes les histoires d'adultère que je traite dans la journée, toutes ces filatures dérisoires pour des histoires cousues de fil blanc, il faut bien compenser sinon c'est déprimant. |
Ce qui est embêtant c'est qu'elle fait toujours un peu la même
chose. Pire, elle va même parfois voir deux fois le même spectacle.
"Rennes c'est vachement bien" par exemple, elle est allée le voir
à l'ADEC, la Maison du Théâtre, rue Papu et aussi au
café Le Sablier. Elle m'y a entraîné.
C'était la première fois que je mettais les pieds dans ce bistrot. Il est situé rue Jean Guéhenno, dans le quartier de la Fac de droit. Isabelle a garé sa voiture dans la rue George Sand. Et nous sommes entrés dans le café fermé en passant par une petite porte à droite. Nous avons payé et nous sommes allés nous asseoir dans une minuscule salle de spectacle, non sans nous égarer au préalable dans les petits recoins du café. Le bistrot est un vrai labyrinthe, un peu comme le Jardin des plantes, rue Saint-Melaine : le bar est un quadrilatère central planté entre deux salles et tout le monde s'installe autour. |
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"Rennes c'est vachement bien, c'est vachement bien ! C'est de et par Ramon
Perez. Ca commence par des extraits d'émissions de radio, des interviews
d'Edmond Hervé, de Dan Ar Braz et puis le type arrive avec son bout
de gâteau et son pot de confiture, il éteint la radio, s'assied,
farfouille dans ses fiches et dit : "Rennes c'est vachement bien !".
Et pendant une heure sur la scène, seul avec une bouteille de whisky, une robe de chambre et une serviette pleine de journaux locaux, il fait défiler Rennes dans ce petit bistrot. Sur son estrade minuscule il nous amène le jardin du Thabor avec ses mamies qui se réveillent quand elles sentent qu'elles s'endorment sur le pommeau de leur canne à l'heure de la sieste, Sainte-Thérèse et ses joueurs de palet, ses retraités qui s'inquiètent du prix de la galette en euros et ses quadrados qui viennent les remplacer dans les maisons de cheminots. Et puis il y a la plaine de Baud et ses feux d'artifice historiques… |
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Du coup, après cette soirée-là, je ne comprends plus
très bien où j'en suis. Où plutôt, j'ai une
autre vision des choses. Peut-être qu'Isabelle et ce type ont raison.
Peut-être que Rennes c'est vachement bien et que je devrais sortir
plus, aller voir des spectacles, faire des choses… Vivre pour moi plus
que pour le boulot. J'ai l'impression de me polariser vraiment trop sur
cette histoire de disparition d'Isaure Chassériau…
Quelle importance ça a, un tableau de plus ou de moins dans un musée ? Et une jeune fille disparue en 1960 porte d'Orléans peut-elle être retrouvée à Rennes 41 ans plus tard ? |
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A part ça, Rennes c'est vachement bien, la vie est belle et c'est tant mieux !
Amitiés à madame Lapsi.
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