M. Florent
Fouillemerde
Agence Fiat Panda 4, rue des Petits champs 35000 RENNES M. Ferdinand FLURE Agence Dupondet et Dupontet 120, rue de la Gare 65125 LES HAUTS DU TOURMALET |
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Même si l'intérieur ressemble un peu à ce qu'on imagine du dehors, on est quand même salement déçu quand on entre là un vendredi soir à 21 h 30. La sono gueule à plein tube la musique d'une radio commerciale entrecoupée de slogans de pub d'une rare vulgarité : on entend des "ta gueule", "salut les meufs" etc. Sur la mezzanine des jeunes gens qui portent même à l'intérieur leurs casquettes de rappeurs s'extasient bruyamment devant leurs coups de queues admirables. Ou derrière leur coup de queue admirable. De toutes façons, il n'y en a qu'un seul à la fois. Mais peu importe. Sur la mezzanine, ce n'est jamais qu'une salle de billard de plus à Rennes ; sauf que celle-là possède de très jolies lampes vertes suspendues au plafond.
Pour qui s'attendrait, comme moi, à trouver un peu d'Angleterre dans ce café le compte n'y est vraiment pas. Il y a bien de jolies moulures rouges sur un fond vert empire au-dessous des fenêtres qui donnent sur la rue, il y a bien un comptoir avec des barres de cuivre, il y a bien des petites choses écrites en lettres anglaises au-dessus et deux figurines à haut-de forme et chapeau bizarre en dessous, l'ambiance n'y est pas. Même la cabine téléphonique rouge plantée sur la droite en entrant à l'air artificielle. Et ça ne va pas s'arranger tout au long de la soirée.
J'ai rendez-vous ici avec un violoniste spécialisé dans le
trafic de stupéfiants. L'orchestre de Bretagne donne ses concerts
pas très loin dans la rue et depuis que M. Gourvennec a publié
"le râle du basson" on sait que la musique n'adoucit pas forcément
les moeurs. Il y a même carrément, si l'on en croit Ray Ventura,
des chefs d'orchestre qui n'aiment pas la musique.
Justement cette putain de radio n'arrête pas de balancer les poums-poums
de sa disco ("I will survive") et de m'assommer de publicités débiles
pour la "Playstation" et pour "générationgay.fr". Là-dessus
entre un client avec un chapeau chinois et une perruque rouge. Voilà
qu'en plus j'arrive en plein Halloween chinois ! Je ne savais même
pas que ça existait ici !
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Et puis il y a ce drôle de Chinois qui n'est pas un client mais le serveur du café qui vient apporter de l'aide à la patronne en pull bleu pâle. Il y a de drôles de types dans ce bar. Un petit gros sympa en costar cravate, un autre coiffé en brosse avec un blouson de cuir et puis un sosie de Wim Wenders, lunettes d'écaille et genre à lire Libé, qui grille clope après clope, debout sur la droite du bar, là où on a la vue sur les jambes de la patronne. Il y a un autre type avec juste un bout de barbiche qui s'approche de moi et qui me demande "il va bien nous chanter quelque chose le petit monsieur ?"
- Ah bon, je lui fais, vous faites un karaoké, ce soir ?
Oui, ils font un karaoké ce soir. Je m'aperçois alors avec stupeur que je me suis assis en tournant le dos à un pied de micro. En face, un écran de télé affiche sur un fond bleu le mot "Pioneer" et un perroquet gris posé sur un cd-audio. Zut, je vais être la cible de tous les regards si effectivement les clients s'en viennent chanter juste derrière ma chaise. Sur le comptoir, un écran de machine de jeux vidéo encastré dans un couvercle de poubelle, entre deux incitations à participer soit aux nouveaux jeux, soit aux questionnaires érotiques, fait clignoter le nom du pub, la date d'aujourd'hui et l'indication karaoké à 21 h. Comme il est 22 heures 15 et que les tables de l'entrée sont encore désertes, j'ai le temps, avant que mon contact n'arrive, de jeter un coup d'oeil au catalogue des chansons proposées. C'est assez stupéfiant. Il y a une liste entière de titres de Johnny Halliday, "les valses de Viennes [sic]" de François Feldman, du Thierry Hazard - je ne savais même pas qu'il existait ! -, du Patrick Bruel, des extraits de Starmania, du France Gall d'après les Sucettes, du Patricia Kass [sic], Dieu m'a donné la foi, d'Ophélie Winter - il lui a donné aussi des appendices mammaires intéressants ! -, Joli môme [sic] de Juliette Gréco; du Elmer Foot beat [sic] - en réalité c'est "food" !- et surtout "Ma cabane est Canada" [sic] de Line Renaud.
Pourvu que mon contact arrive vite avant que des clients plus ou moins amateurs, plus ou moins éméchés ne me massacrent tout ça dans les oreilles.
Jojo pousse encore un peu plus la sono. Je n'imaginais pas que cela fût possible. Et puis soudain, tout s'arrête. Quelqu'un s'est pris les pieds dans le fil. Tout espoir n'est donc pas perdu, la technique peut-encore défaillir. A partir de là, ça se précipite. On se met en quête d'un escabeau. Une Désireless post-Halloween en cheveux oranges et lèvres noires vient s'installer au bar avec sa copine blonde frigo. Les grands ventilateurs coloniaux au plafond semblent accélérer leur rythme de rotation. Une jeune fille entre dans la cabine téléphonique : les annuaires ne sont pas en anglais et la machine accepte des pièces françaises. A côté de moi un gros type chauve en pull rouge vient de s'installer. Est-ce que ce serait lui que je dois rencontrer ?
- Il y
a un kaféolait se soir ? me demande-t-il.
- Oui
!
Il pose son "Courrier international", un dossier rouge dont il extrait des feuilles manuscrites raturées. Je ne sais pas pourquoi il me fait penser à ce bistrot de la rue de Dinan où je n'ai toujours pas pénétré.
- Salut,
Camille.
- Tu
es superbe avec ton chapeau chinois.
- Oh
je peux faire encore mieux. Tu n'es pas venu à la soirée
Halloween ? Je te montrerai les photos. J'étais bien déguisé.
Si tu arrives à me reconnaître tu auras de la chance. Même
moi je ne me reconnais pas.
- Vous
avez raison, les gars. profitez de votre jeunesse. Moi, maintenant...
- Dis
pas ça Camille !
Finalement c'est l'ampli qui s'était trouvé débranché.
Voltage - c'est le nom de la radio - repart à fond. Le chauve s'est
mis à fumer des cigares odorants et à écrire dans
son coin. Une beauté sombre est venue s'installer au comptoir pour
y fumer des Winston. Toute cette fumée me pique les yeux et surtout
va empester mes fringues. J'ai horreur de ça.
Il est 23 h 15, le karaoké n'a toujours pas commencé, mon
contact de 21 h 45 n'est pas venu et je dois aller récupérer
Alexis, le fils d'Isabelle, et son copain Manu à l'Ubu, une salle
de spectacle juste en face, pour les ramener chez leurs mères.
Je paie ma bière, je sors du Sherlock Holmes Pub et je traverse
la rue Saint-Hélier au feu. Des clameurs me parviennent de l'intérieur
de l'Ubu : le concert de Dionysos n'est pas encore terminé.
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Je redescends me poser sur les marches d'escalier de l'entrée. Sur
le trottoir, trois adolescentes sont en train d'éxécuter
des mouvements de taï chi chuan. Elles sont complètement indifférentes
aux passants qui sortent du théâtre et ceux-ci leur rendent
bien. Je suis seul à regarder leur danse magique sur fond de flot
de voitures d'après le restaurant.
Je tombe de sommeil. Rentré chez moi, je m'endors et puis je me réveille en sursaut. C'est quoi cette histoire de résurrection, de type coincé dans sa tombe ? Finalement, je l'ai très bien vue, sa casquette. Elle était accrochée derrière le comptoir, à côté de l'étiquette jaune fluo marquée "sangria 22 F". Alors ?
Ce salopard de Holmes était dans la salle mais il ne s'est pas manifesté. Avec ses méthodes à la con, il est foutu d'avoir tout deviné ce que je voulais lui demander et de se mettre sur le coup !
Je crois que j'ai encore gaffé, Ferdinand. Amitiés à madame Lapsi.
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