- La danse de la pluie ? Ce serait pas plutôt la danse des canards ?
- Et c'est le grand Manitou qui tient la pipette !
Le comptoir de la mère Michel est un drôle de petit bistrot-librairie. On n'y sert jamais rien à boire aux clients de passage mais il y a toujours du monde accoudé au comptoir. Bien souvent ce sont des gens habillés de blanc qui travaillent dans la boucherie-charcuterie d'à côté, mais il y a toutes sortes d'individus à passer ici. Il y a même des Allemands de l'Est qui poussent une pointe jusqu'au Comptoir de la mère Michel uniquement parce que la patronne, ladite mère Michel, et ses trois servantes, Catherine, Alexandrine et Thérèse, sont charmantes avec eux.
Parmi les clients fidèles il y a monsieur Denis, celui qui écrit
un "v" au feutre noir sur tous les livres qu'il a lus. Et il en lit le
bougre ! Combien de fois on lui a dit, à monsieur Denis, de ne pas
écrire sur les livres, madame Michel ne le sait plus. Elle a renoncé
d'ailleurs.
- C'est vous qui avez commencé,
a répondu monsieur Denis la première fois. Vous voyez, ce
numéro, là !
- Mais, monsieur Denis, c'est
pour les ranger. Ca s'appelle une cote !
La mère Michel pourrait vous en parler longtemps de ses clients. Monsieur Hervé qui cherche toujours des livres introuvables, de préférence en russe ou en chinois, madame Jacqueline qui ne vient que le samedi à 17h 35, dix minutes avant la fermeture, monsieur Gérard qui s'arrange toujours pour qu'on lui amène les livres sur un plateau, comme si de les toucher allait le contaminer…
Mais madame Michel, les clients qu'elle préfère, c'est ceux de la bande du matin. Ceux-là et celles-là ne lui demandent rien, ils s'installent là et discutent le coup, de façon souvent drôle et toujours sympathique.
Leur patron, monsieur Dédé, vient parfois saluer lui aussi, madame Michel. Mais ça n'est pas vraiment par politesse envers elle. C'est juste pour signaler aux autres qu'il est l'heure de regagner leur poste à l'atelier. Il y a des boutiques, dans le quartier, où le patron ne rigole pas. Dommage.
Depuis qu'elle a lu les bouquins de Jean-Marie Gourio, Madame Michel a
entrepris de noter les brèves de comptoir de la bande du matin.
C'est parfois vulgaire, ça n'est jamais triste. En voici quelques
unes :
| - T'as vu le Rennais ? Le dessin
de couverture ? C'est Edmond Hervé qui fait la danse de la pluie
dans la fontaine de la place de Bretagne !
- La danse de la pluie ? Ce serait pas plutôt la danse des canards ? - Et c'est le grand Manitou qui tient la pipette ! |
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- Quel temps il fait aujourd'hui
?
- Comme d'habitude. Y'a le grand Manitou qui appuie sur la pipette ! - Vous avez vu le titre du Rennais ? Allons nous manquer d'eau à Rennes ? - On s'en fout, on boit que du kir ! - Dis donc, le photographe, y'a que des belles filles sur tes photos ! T'aimes pas la charcuterie ? - Pourquoi tu demandes ça, tonton ? - Tu photographies jamais les boudins ! - En Bretagne, il ne pleut que sur les cons. - Ben dis donc, nous qui vivons en Intelligence, on va finir par manquer d'eau ! |
| - Le patron m'a
pas dit bonjour aujourd'hui.
- C'est normal, il nous considère comme des chaises. Pour lui t'es une chaise. - Et alors ? - Il dit pas bonjour aux chaises ! - Et toi, Isaure, crois-tu qu'on va manquer d'eau à Rennes ? - On va manquer... de quoi ? |
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