Chapitre XVI : LE ZOO RENNAIS
8 : La tante Zita : souvenir d'enfance
 
 
- Maman, qu'est-ce que ça veut dire, rachitique ?
- Ca veut dire maigre, Isaure. C'est quand on n'a plus que la peau sur les os.
- Ah ! Je comprends, maintenant !
- Tu comprends quoi ? Pourquoi tu me demandes ça ?
- Parce que cet été, quand j'étais chez tante Zita, le cousin Théodore a dit que j'étais rachitique.
- C'est vrai que tu n'es pas épaisse mais quand même, il exagère un peu ton cousin !
 
 
        Je me souviens très bien d'Isaure Chassériau enfant. Elle venait chez nous, tous les étés, et je crois bien avoir vu, encore l'autre jour, dans un cadre au grenier, une image d'elle en costume marin. Elle est photographiée de dos, toute petite silhouette faisant face à l'immensité de la mer. Un petit bout d'espoir intemporel, un moment pour ainsi dire universel. Ca ne vous fait pas la même chose, vous, la mer ? Le même bruit qu'aux origines, la même douceur du sable aux orteils qu'il y a deux mille ans, le soleil qui s'arrête à l'orange et se cache quand il a le nez rouge. C'est d'une simplicité, au niveau mise en scène et pourtant ça marche toujours !

        Je dis ça mais de fait le spectacle de la mer et du soleil m'indiffère tout autant qu'à l'époque d'Isaure. Je n'aime pas les lieux trop humides et je ne traîne pas mes pattes n'importe où. Pas dans ce sable-là, en tout cas.

        Par contre je me souviens très bien d'Isaure Chassériau. C'est vrai qu'elle était maigre et qu'elle mangeait très peu.

        Quand elle venait passer ses vacances à Piriac-sur-Mer chez la tante Zita elle devait beaucoup souffrir. Oh, Zita n'était pas méchante. C'était même la crème des tatas. Mais quand elle présentait à table sa paella plus verte que jaune, je ne vous dis pas l'effet que ça faisait : il y avait là-dedans plus dix fois plus de petits pois que de grains de riz au safran ! Elle servait de plus ce plat typiquement espagnol accompagné de grandes bolées de cidre breton brut.

        Ses galettes à la saucisse de Francfort n'étaient pas mal non plus. Ses germes de lentilles aux huîtres chaudes étaient très originaux eux aussi. Les enfants ne pouvaient même pas se rattraper sur les desserts. Son gâteau au chocolat, à la banane et aux morilles avait quelque chose… d'indicible ! Son farz aux pruneaux et aux pommes de terre laissait les invités sans voix et sans possibilité de réaction aucune. Même sa forêt noire au chouchen et au lait ribot ne trouvait pas preneur parmi la petite classe.

- Isaure, que fais-tu encore sous la table ? Tu n'es pas à nouveau à câliner ce chat, au moins ?
- Non, tante Zita. Je refaisais mon lacet.
 
        Ah, Isaure Chassériau ! Gavé de son kouglof de Brest parfumé à la bière Coreff, repu des parts de kouign aman à la sauce Bertolucci qu'elle me refilait en douce, j'allais m'allonger sur le muret et je m'enfonçais dans d'immenses siestes, avachi à l'ombre des saules sous le ciel démesurément bleu, avec pour me bercer les flip-flap des papillons, le zézaiement des mouches et des abeilles qui venaient s'abreuver à l'arrosoir magique. Dans cet instrument de jardinage, prétextant d'une envie d'aller au petit coin, Isaure avait déversé la limonade au miel et au ketchup que tante Zita servait aux enfants avec une générosité comme on n'en fait plus. 

- Vous n'avez pas soif, les enfants ? 
- Non, tante Zita ! 
- Venez boire un coup quand même. Vous allez déshydrater !

 
  Rapporté par M. Sério, chat de la famille Chassériau.

 
 
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