CHAPITRE XV, ARRETE, TU ME DEPRIMES
Texte 4 : A Rennes, rien ne prend sauf le feu
 
 
        "A Rennes, rien ne prend sauf le feu". Il paraît que c'est un archevêque qui a dit ça. Je l'imagine très bien dans sa robe de pourpre, un verre de vin rouge à la main, installé auprès d'une cheminée où flambe un peu du bois qu'il a fait rentrer pour l'hiver. Une bonne flambée qui crépite par-dessus un proverbe touareg made in Breizh, voilà qui est… d'enfer !
 
        Mais quelque part son adage étincelant n'est peut-être pas si faux que cela. La caserne des pompiers, logée dans le palais Saint-Georges, a elle-même été autrefois la proie des flammes. Nul ne sait si le dragon flamboyant de la légende n'est pas revenu se venger de toutes ces représentations picturales où on le voit terrassé par l'archange. Mais je confonds peut-être Saint-Georges et Saint-Michel. 
 
        Celui-ci figure d'ailleurs sur la façade du Ty-Koz qui a été lui aussi jadis victime d'un sinistre. On aperçoit également là un écu jaune vif avec trois mains rouges, panneau dont le sens au moyen âge était le suivant : 
"Ne jouez pas avec les allumettes ou sinon le père Noël ne mettra pas dans la cheminée "le camion de pompiers flambant neuf avec une grande échelle pour monter en haut de la Tour des horizons" que vous lui avez commandé". 
 
        Mais le plus grand traumatisme que la ville ait connu, outre l'incendie de 1720, est bien cette nuit de février 1994 où le Parlement de Bretagne a brûlé. Un abominable feu d'enfer, un vrai, pas un feu d'artifice, a fait disparaître des pans entiers de l'histoire de la Bretagne. Au jardin du Thabor on a retrouvé, dans les jours qui suivirent des morceaux de papier calciné provenant des livres de la bibliothèque.

        Tant de bonnes volontés se sont manifestées depuis, qui ont abouti à la reconstruction à l'identique du palais, qu'on en a oublié cette petite annonce parue dans Ouest-France les jours suivants : une certaine Isaure Chassériau, directrice d'une "Agence de flânerie amoureuse de Rennes", proposait que chaque personne arpentant la ville en deuil ramassât ces lambeaux de papier et les lui apportât rue d'Antrain, dans ses locaux, là où se trouve aujourd'hui l'agence Maison rouge.
 
       Cette Jeanne d'Arc moderne, pleine d'ardeur et de naïveté, songeait à reconstituer ainsi la bibliothèque du Parlement. Nul doute pour elle que dans le futur, grâce aux tests génétiques, au carbone 17, à l'ADN, à Internet, au maïs transgénique et au clonage des manuscrits originaux on eût pu procéder à la reconstitution de ces écrits fragmentaires non partis en fumée. 
 
      Hélas, personne ne répondit à ses appels répétés. Ce qui est bien dommage. Comme le disait l'archevêque du début : "A Rennes, rien ne prend sauf le feu".

 
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