CHAPITRE XV, ARRETE, TU ME DEPRIMES
Texte 5 : Les Bretons sont têtus
 
 
     Les Bretons sont têtus.  

     Ou s’ils ne le sont pas, le moins qu’on puisse dire de celui-là, c’est qu’il a de la suite dans les idées.  

     Tout a commencé par une belle nuit d’été. Une belle nuit du mois d’août 2001 (à Rennes, nous avons tellement de belles nuits d’été tout au long de l’année qu’il convient de donner cette précision). Sur l’avenue Jean-Baptiste de La Salle, en face du café « La Casaque » et de la crêperie « Fleur de blé noir » notre Breton têtu se plante face à la boîte aux lettres installée par madame La Poste au milieu d’une belle rangée d’arbres qui descendent en ligne droite vers la rue de Brest et le centre ville. La boîte, d’un très beau jaune vif, est couverte de tags divers déposés là par moult générations de totos tagueurs bretons.

 
   Toto Letagueur – c’est ainsi que nous appellerons notre Breton têtu - sort sa bombe de peinture verte et se met à asperger la totalité du monument postal. En suite de quoi il sort sa bombe de peinture jaune et signe son œuvre : « Play ». Comme Toto Letagueur est plus doué pour la peinture que pour l’écriture, son Y possède trois branches supérieures et ressemble du coup à une patte de poulet ou à une fourchette en plastique punk.
 
 
     Le lendemain et les jours suivants de cette belle nuit d’été, les Villejeannais de retour de vacances passent devant la belle boîte verte et se demandent si, pendant qu’ils se baignaient à Sable d’Or les Pins, Madame La Poste n’en a pas profité pour changer sans prévenir le joli habillage bleu et jaune qui la distingue de, par exemple, monsieur Staderennais, casaque rouge, toque noire. On s’attend à tout moment à voir débouler dans le hall de son immeuble une factrice sur un vélo vert et on se demande quelle est la couleur complémentaire. Le noir ? Une factrice sur un vélo vert avec un cadre noir de Saumur ?  

     Surtout les Villejeannais se demandent s’ils peuvent continuer à utiliser la boîte aux lettres verte pour y déposer leurs missives. Est-ce qu’une 4L verte viendra s’arrêter pour prendre le courrier et l’acheminer vers les destinataires aux quatre coins du monde *?

     La réponse vient quinze jours plus tard. Elle est flambante, pétante de jaune dans le soleil. Une boîte aux lettres neuves, avec les heures des levées à nouveau visible.
 
     Les Villejeannais se demandent, en descendant vers le marché des Lices le samedi matin, combien de temps vont mettre les totos tagueurs de Villejean avant de venir saloper la belle ouvrage de madame La Poste.  

     La réponse ne tarde pas. Quatre jours après, Toto Letagueur est repassé par une belle nuit d’été – toutes les nuits de Rennes sont de belles nuits d‘été – et il a montré à la face du monde que, décidément, non, il n’aimait pas le jaune.  

     Les Bretons sont têtus.  

     Ou s’ils ne le sont pas, le moins qu’on puisse dire de celui-là, c’est qu’il a de la suite dans les idées.

 
* Si les émules de Toto Letagueur ont juste appris à l’Ecole que 2 et 2 font 4 (224) et 2 et 1 font 3 (213) et que leur ministre s’appelle Jack Lang (voir ci-dessous), les Villejeannais croient encore quant à eux que la terre est plate et carrée et donc ils parlent très souvent des « quatre coins du monde ». Les Villejeannais croient surtout que Villejean est un village d’irréductibles Gaulois installé à la périphérie de Rennes et ils confondent souvent Edmond Hervé et Jules César : du coup quand le maire de Rennes passe sur le pont Bagoul pour venir à Villejean, il a l’impression de franchir le Rubicon !
 
     
 
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