LES POEMES DE THEODORE CHASSERIAU ET LES VOTRES
Texte 104 : Promenade [à Quineleu]
 
 
"Nul ne guérit
que par ses plaies..."
Gilles Baudry
(Présent intérieur)
 
1
 
Je n'irai plus à la fontaine
de Quineleu puiser l'eau vive
et fraternelle du village,
vendre le sel des commérages,
aux margelles battre le linge,
ou, dans le bistrot, le carton.
La source est bien tarie!
 
2
 
Chez Bidoit, les encaveurs
ne viennent plus avec leur diable
pour mettre en place les barriques
et choquer les grandes bolées.
L'odeur d'urine et de vieux cidre
s'est tue.
Les herbes folles font la loi.
Et la planche à palets
ne bat plus sa monnaie.
 
3
 
La mère Loreiller
a fermé son comptoir.
Lait, galettes et nouilles
sont à chercher ailleurs.
Où vont-ils acheter
leurs rouleaux de réglisse
les enfants du quartier
 pour rêver de gagner
 la poupée en vitrine?
Mais sont-ils encore des enfants,
et qui vont à l'école,
comme au temps du vieux Doublet,
et de Frangeul, et de Masson?
 
4
 
Le boucher, la mercière,
à leur tour,
ont baissé leur rideau.
Qui s'en plaint?
Les murs refaits à neuf
avalent les boutiques
de jadis.
Seuls les seuils de granit,
oubliés sur la rue, font désordre.
 
5
 
  La mère Piouf est morte,
Poubanne le coiffeur
et la mère Jumelle,
la cousine Bourdin,
Gendron, la grande gueule,
Marie Fagot, le père Eston...
et tant d'autres! ...
 
6
 
Au 6, les murs dorment debout,
yeux clos, bouches cousues.
Les vieilles derrière leurs rideaux
ne traquent plus
les amoureux dans les venelles.
Où sont les rats et les punaises,
les rigolades,
les engueulades
aux processions des seaux qu'on vide
le soir venu au fond des cours?...
La proprio qui vient parfois
chercher son dû, avec son fils,
en fin de mois...
et les murmures qui les suivent ?
Cabanes et clapiers
achèvent de pourrir
sous la mousse au soleil.
 
7
 
De la Herpe aux Ormeaux
les enfants ont suivi
les chemins de la vie
sans savoir...
Heureux enfants!
La roue tourne et nous laisse hésitants,
au seuil de la mémoire.
Mais pourquoi hésiter ?
La passerelle de la gare
est murée... C'est tant mieux!
Il faut vivre au-delà...
Mais, faut-il oublier?
 
 
Pierre Bourges
 
 
    
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