Chapitre IX, LA GALERIE DE PORTRAITS
Texte 110 : Le théâtre de Marly-le-roi
  
 
        M. Guyet-Desfontaines, retiré jeune du théâtre et député de  Vendée (1), avait épousé une femme d'esprit, Mlle Emma-Marie Duval, fille de M. Amaury-Duval-Pineux, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et soeur d'Amaury-Duval peintre habile élève de M. Ingres. Mme  Guyet était veuve en premières noces d'un libraire ancien officier A. Chassériau
 
        La maison de M. Guyet fut une des plus agréables de Paris. Le maître riche aimait à recevoir les artiste, les gens de lettres et les gens du monde qui avaient le goût des lettres et des arts, dans son hôtel de Paris, rue d'Anjou, en face de l'hôtel d'Aligre. On joua plusieurs fois la comédie mais c'est surtout quand il eut acheté sa maison de Marly que ce plaisir prit de plus grands développements. La troupe s'y composa de MM. Guyet-Desfontaines, Melesville, Amaury Duval, Edouard Bertin, Anatole Jal (2) et Van der Vliet, de Mme la baronne Dupuytren, de Mme Van der Vliet, fille de M. Melesville et de Mme de Brayer, fille du premier mariage de Mme Guyet-Desfontaines. 

        La troupe ordinaire y joua "l'Ours et le Pacha", le Suisse Malade" proverbe de Carmontelle, "le caporal et le page", "la Soeur de Jocrisse", "la .Meunière de Marly", "l'Omelette fantastique", "la Rue de la Lune", "le Mari de la Dame des chœurs", "les Gants jaunes", "le Mariage de raison", "le Chevalier du guet".

Dans la pièce "l'Ours et le pacha" c'est Madame de Breyer (ex Isaure Chassériau) qui endossa le rôle de l'Ours. (statuette photographiée dans un des musées éphémères de la rue Vasselot à Rennes et représentant l'actrice au moment où elle lance la célèbre tirade "Va doucement, Killy, c'est tout bon !" )
 
        Quelquefois des comédiens de divers théâtres  s'associèrent à la troupe ordinaire : c'étaient les grands jours ! C'est ainsi que Mme Anaïs du Théâtre Français joua le rôle de Pinchon qu'elle avait joué au Gymnase, qu' Odry joua le rôle de Marécot dans "l'Ours et le pacha". La troupe, pleine de zèle et dont les emplois étaient vraiment fort bien remplis tint bon contre la redoutable comparaison et les aimables artistes voulurent bien exprimer plusieurs fois leur étonnement de rencontrer des amateurs chez lesquels ils trouvaient presque des émules.

         La belle, jeune et bonne comtesse de Fitz-James qui mourut à Marly des suites d'une horrible brûlure qui lui dépouilla les épaules tenait ordinairement le piano. La recette fut encore fructueuse (3).

        "M. Jal avait dans sa troupe de Marly le triple emploi de souffleur, de régisseur de la scène et de régisseur parlant au public. C'est ainsi que chaque représentation fut précédée d'un prologue en vers qui peut faire connaître M. Jal sous un jour nouveau et tout à fait inédit, non poète, il n'avait pas cette prétention, mais versificateur fin et spirituel."

        Ces lignes sont empruntées aux manuscrits de la Bibliothèque Nationale (n.a.9503). Elles figurent dans des papiers concernant la marine, et pour ce document, provenant d'Augustin Jal, l'auteur du "Glossaire nautique". Etaient-elles destinées à l'impression ? C'est probable, mais si elles ont été publiées, comment les retrouver dans les nombreux recueils auxquels Jal a collaboré ? Ce qui prouve qu'elles devaient être éditées c'est qu'elles se terminent par cet appendice : « On pourrait mettre ici les deux prologues imprimés dans une petite brochure - -annexée au document - celui du 15 août 1849 et celui de la représentation de Rachel. Parmi les poésies, permettez-moi de vous signaler, s'il y a place, le Prologue de la représentation des crèches à Saint-Germain, commençant par "Allons, paix ! Taisons nous, monsieur, c'est la consigne". J'ai marqué les autres pièces qui m'ont paru les meilleures dans des genres différents."
 
        Jal a-t-il rédigé notre document ? Il semble bien fort qu'il ait pu s'appeler "versificateur fin et spirituel". Peut-être est-ce une phrase aimable ajoutée par un des artistes de la troupe mondaine. Dans tous les cas il l'a eu sous les yeux, car il ajoute : "J'eus souvent bien chaud dans mon trou ; j'eus quelquefois de sérieuses difficultés pour la mise en scène. Je parlai presque toujours au public avant la représentation". Il n'a, dit-il, conservé que quatre de ces discours : c'est un souvenir précieux de ces fêtes charmantes. 

        Nous ne parlons pas des représentations données rue d'Anjou (4) mais seulement de celles qui eurent lieu à Marly. 

- Mohamed, retire ta tête ! On va te voir sur Internet ! 

N.B. Des habitants de Paris ou pourraient-ils nous dire si l'hôtel d'Aligre est bien situé au 4 de la rue d'Anjou ou à un autre niveau de la rue ?

 
        Le 15 août 1849, jour de la fête de Mme Guyet-Desfontaines, on joua au bénéfice des pauvres de la commune. On inaugura le théâtre. L'orangerie avait été transformée en salle de spectacle par Séchau. "C'était un véritable théâtre en miniature, assez large et profond pour que les acteurs y pussent agir avec une certaine liberté. La salle ornée de guirlandes de fleurs et de feuillages et fort bien éclairée offrait un charmant coup d'œil." On commença à huit heures du soir.

        Le 16 août 1851, toujours à l'occasion de la Sainte-Marie, il y eut spectacle. "Celui-ci avait été arrangé sans les soins du régisseur qui était alors en Hollande et qui se hâta de revenir pour se trouver à son poste". Le bon Jal devait se croire indispensable.
 
        Deux de ses prologues ont été imprimés. L'un fut débité  avant une représentation donnée à Saint-Germain au profit des crèches ; l'autre à l'inauguration du théâtre de Marly. La pièce a 108 vers. La finesse et l'esprit, s'il y en a eu, se sont évaporés. Nous ne citerons que ce passage :
 
Marly, c'est le pays du bonheur et des fêtes ;  
C'est le charmant séjour de la paix et des ris…  
Il a gardé le goût des plus nobles plaisirs…  
Aussi naguère a-t-il vu Melpomène  
Chercher tes ombrages touffus  
Pour démêler les sentiments confus  
Du cœur jaloux de la fille d'Hélène…  
Aussi voit-il sous ses grands arbres verts  
Venir se reposer Thalie… 
 
        Melpomène, c'était Rachel qui eut un cottage à Marly et Thalie Mme Anaïs qui avait une maison de campagne à Louveciennes. 

                            Gabriel Vauthier 
 

(1) Il était fils d'un ancien notaire de Paris
(2) Frère d'Augustin
(3) Comme on le verra, ces représentations étaient au profit d'œuvres charitables.
(4) Le 3 mars 1851, jour du mardi-gras, on donna le "Caprice" avec les artistes du Théâtre-Français et la "Sapho de Quimper-Corentin", proverbe bouffon de Théodore Leclercq.

 
 
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