Chapitre IX, LA GALERIE DE PORTRAITS
Texte 108 : Adolphe Chassériau
 
 
M. Eugène Amaury-Duval 
30, quai Duguay-Trouin 
35000 RENNES
 
M. Florent Fouillemerde 
Agence Fiat Panda 
4, rue des Petits-Champs 
35000 RENNES
                                                                                Rennes, le 16 août 1885

                            Cher Monsieur

        Au sortir du collège, je fus admis par M.  Ingres au nombre de ses élèves.
J'ai déjà raconté cette époque de ma vie dans quelques pages de souvenirs sur mon illustre
maître.  N'ayant alors pour but que le récit de mes rapports avec ce grand artiste, j’avais dû mettre de côté tous les détails intimes de ma vie de famille.  Si j'entre aujourd'hui dans quelques uns de ces détails, c'est surtout avec la pensée de faire connaître et de faire apprécier l'esprit charmant d'une soeur qui eut pour moi dès mon enfance une affection toute maternelle, et ne cessa jamais de m'en donner les témoignages les plus tendres.

        Ses lettres, qui seront probablement le principal attrait de ces souvenirs, donneront de son esprit et de son coeur une bien plus juste opinion que tout ce que j'en pourrais dire moi-même ; mais, pour les rendre complètement intelligibles, il me faut nécessairement introduire le lecteur dans le milieu où nous vivions. Il me semble même que je remplis un devoir en mettant dans son jour cette existence si difficilement commencée, supportée par ma soeur avec un dévouement, un courage, une énergie  rares, et dont elle sut vaincre tous les obstacles sans que son esprit perdît rien de sa sérénité, je pourrais dire de sa gaieté.
 
       Un jeune officier du nom de Chassériau, cousin du peintre qui mourut avant l'âge et déjà célèbre, fut présenté dans ma famille à la fin de l'année 1816. C'était un engagé volontaire : parti à l'âge de seize ans, il avait été décoré à vingt ans sur le champ de bataille, et venait de donner sa démission à la chute de l'Empire.  Il était difficile que ma soeur , qui, sans être absolument jolie, était pleine d'élégance et de grâce, ne fit pas impression sur le jeune officier, et que, de son côté, la jeune fille ne fût pas bien vite touchée au coeur par la bonne humeur et l'entrain, peut-être aussi par les épaulettes et la décoration du soldat.
 
 
Le dyptique représentant les fiançailles d'Emma Duval et d'Adolphe Chassériau était récemment encore à vendre dans la brocante de la rue de Redon à Rennes !
        Le mariage se fit.  La dot, médiocre de part et d'autre, ne permettait pas une longue inaction - Chassériau, qui avait bon désir de se créer une position lucrative, chercha assez longtemps, et se décida, d'après les conseils de mon père, à entreprendre en librairie un essai qui peut-être eût réussi, s'il eût été tenté par un homme mieux organisé pour le commerce.   

        Cette entreprise, qui fut connue un moment et fit même un certain bruit sous le nom de Dépôt bibliographique, consistait à réunir dans un vaste local tous les livres dont les possesseurs voulaient se défaire : c'était une vente perpétuelle comme celles qui ont lieu à la salle Silvestre, avec la facilité, pour chacun, de visiter, à son jour et à son heure la collection, dont tous les ouvrages portaient le prix demandé. 

 
        Pendant quelque temps, ces belles salles, situées rue de Choiseul dans un ancien hôtel, furent fréquentées par un assez grand nombre d'amateurs, et peut-être aurait-on dû s’en tenir à cette idée, en lui donnant un peu plus de développement ; mais l'ambition vint avec ce commencement de succès : mon beau-frère se fit éditeur et publia quelques ouvrages d'un genre sérieux, qui ne pouvaient donner des résultats bien lucratifs ; un procès qui lui fut intenté par le gouvernement, pour la publication de l'Origine des cultes de Dupuis, et qu'il perdit, ajouta à ses embarras : son instinct était peu commercial, mon père avait moins encore peut-être l'esprit des affaires ; tout alla de mal en pis, et un jour il fallut renoncer à l'entreprise, qui coûta à mon beau-frère le peu d'argent qu'il possédait, et à mon père l'humble fortune qu'il avait amassée, mais qu'il crut devoir engager pour terminer ces tristes affaires.
 
        Cette catastrophe n'abattit pas le courage de Chassériau : il s'embarqua quelque temps après pour l'Amérique méridionale, où il allait chercher la fortune, et où il ne trouva que la mort. 

        La prochaine fois je vous parlerai d'Emma Chassériau qui fut, vous le savez peut-être, la maman d'Isaure. 

        Promenez vous bien dans Rennes, c'est une ville qui vaut le coup d'oeil. 

En Amérique du Sud ? Mais ça va pas Adolphe ? T'as perdu la tête ou quoi ?
                                            Eugène Amaury-Duval
 
 
 
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