CHAPITRE VIII : LES JEUX RENNAIS
26. Deux vocations (le jeu du tarot des familles rennaises)
 
 
- Il ira loin, ce petit, dit Alice au chat. 
- Quelle voix il a, surtout. Il n'a jamais raté un biberon. On ne risquait pas de ne pas l'entendre quand il hurlait la nuit. 
- Quel caractère aussi ! Cette façon de trépigner quand il réclame quelque chose ! 
- Ses parents n'ont d'yeux que pour lui. Ils cèdent à tous ses caprices. Ils ne pensent même pas à te faire cadeau d'un biscuit, ma pauvre Alice. Pourtant tu passes tous les jours admirer leur bébé. Moi-même il faut que je miaule très fort pour avoir ma jatte de lait. C'est quoi ton tamagoshi, aujourd'hui ?  
 
 

- Mon quoi ? 
- L'animal virtuel que tu traînes derrière toi ? Ah je vois, c'est un lapin. Ou un lièvre de Mars ? 
- En tout cas, le petit Joseph, lui, c'est un vrai bébé de duchesse ! 
- Mais sais-tu qu'il a des mœurs bien étranges ? Quand ses parents ont le dos tourné il ramasse des cailloux et il se les met dans la bouche. 
- J'ai entendu parler d'un type comme ça à l'école. Un Grec, je crois. 
- Stentor dit Gueule-en-Or ! 
- Voilà, c'est ça !

 
 
La petite fille blonde grandit. Le chat change de place, saute du fauteuil, se prélasse sur le seuil. Mais il ne se passe pas un jour sans qu'Alice Ferrero ne vienne rendre visite au petit Joseph.
- L'enfant des étrangers venus de la ville ? Quel gueulard, celui-là !" dit le père d'Alice. Et c'est vrai que monsieur et madame Durocher jurent un peu dans le paysage tranquille de ce village de Laillé en Ille-et-Vilaine.
- Voyons, dit un jour le chat, vous avez quoi ? Quatre ? Cinq ans de différence ? Dans une vingtaine d'années cela ne se verra plus. Vous qui êtes secrètement amoureuse de ce ver de terre en liquette, aurez-vous, Mademoiselle Alice, la patience d'attendre jusque là ? Je me demande quand même si ça vaut bien le coup. Ce bébé n'arrête pas de se traîner dans la boue et il passe tout son temps à jouer avec des cailloux !"
 
 
     Quand monsieur et madame Durocher ont invité à Rennes leurs anciens voisin de Laillé, Alice a mis sa belle robe bleue. Elle a relevé ses cheveux en chignon, elle s'est acheté un éventail vert. Ca ne va pas très bien avec la robe bleue mais à Laillé on n'est pas toujours très au fait des goûts en vigueur dans la "capitale". 

     Après le déjeuner on a décidé de pousser la chansonnette. Mademoiselle Irma Suchard, la voisine de palier des Durocher, accompagne tout le monde au piano. Quelle croupe ravissante elle a ! C'est bientôt au tour de Joseph de déclamer une romance. De son bel organe de ténor il entame :

 
"Sur la route de Louviers 
Il y avait un cantonnier 
Et qui cassait, et qui cassait 
Et qui cassait des tas de cailloux…" 

On l'applaudit vivement. 

- Alice, une chanson ! Alice une chanson ! 
 
 

 
        Alors, prise d'une inspiration subite, au lieu de chanter "Perrine était servante" Alice se met à susurrer d'une voix chaude et sensuelle "Diamonds are the girl's best friend". C'est d'autant plus surprenant que cinq minutes auparavant elle ne connaissait pas un seul mot de la langue de Shakespeare.

     C'est un triomphe. Joseph Durocher en est tout ébloui.
 
- Votre voix… Votre voix… C'est votre voix qui est un diamant. On dirait que vous avez un chat dans la gorge. Un chat qui sourit !
- C'est un truc de magicien qu'un vieil ami du Chester m'a appris.
- Mais surtout… Vous vous intéressez aux diamants ? Aux pierres ? A la minéralogie ?
- Oh oui, depuis très très longtemps !
- Parce que moi, voyez-vous, Alice, je veux devenir géologue !
 

 
N.B. Vous aussi vous pouvez jouer au jeu de tarots des familles rennaises. Il suffit de prendre une des cartes d'atouts d'un jeu de tarot ordinaire : elles sont en général illustrées avec deux images tête bêche. Racontez une histoire qui fasse la jonction entre l'image n° 1 et l'image n° 2 de la carte.
 
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