CHAPITRE VI : PETITS PORTRAITS DE RENNES EN FETE
28. La journée du sport de l'Université de Rennes 3
 
 
 - On y croit ! 
  
        L’étudiante n’a pas voulu admettre l’existence de Jean-Eudes Mirliton. Et pourtant le directeur du CRI et de l’IFSIC de l’Université de Rennes 3 porte bien ce nom-là.  
- Il y a aussi un M. Canard à la galerie de zoologie de l’Université de Rennes 1 ! Et une mademoiselle Breton à la tête de la chorale du Cercle celtique ! » 
        Voilà ce qu’on aurait dû lui répondre. Mais quand on a l’esprit de l’escalier on laisse dire et on fait bien. 
  
       Le voilà, en chair et en os, Jean-Eudes Mirliton, ce jeudi matin, chaussures de randonnée aux pieds, sac au dos, tenue décontractée, prêt à participer à la journée du sport de l’Université de Rennes 3 en effectuant une randonnée de treize kilomètres vers Hédé. 
   
 
 Il est arrivé en avance avec sa voisine du 5ème. Le bus n’a pas encore pointé son nez et sur le parking les nombreuses collègues de Jean-Eudes sont là à poireauter et papoter. 
- Pourvu qu’on n’ait pas le même temps que l’année dernière ! 
- Et que le parcours soit moins difficile ! Il y a eu des endroits, tu te souviens, où il a fallu remonter nos pantalons pour traverser 
- Cette fois-ci, moi, je ne le remonte pas, je l’enlève carrément 
- Waohh ! J’ai bien fait de venir, il va y avoir du spectacle 
- Où c’est qu’il est Jean-Paul ?
 
        Un peu plus loin sur le parking Jean-Eudes aperçoit Obélix. C’est M. Jolpitre qu’on surnomme comme ça. Il dirige l’U.F.R. des jeux traditionnels bretons et il est le sosie de Gérard Depardieu dans « Mission Cléopâtre ». Un niversitaire avec beaucoup d'humour. En la matière, c'est, lui aussi, une vedette.

        Lorsque le bus arrive, la pluie se met à tomber. Le troupeau universitaire ne se précipite pas pour autant vers l’arche de Noë à roulettes. A l’entrée du car une charmante blonde pointe les noms de ceux qui montent. Elle a bien du mal à trouver celui de Jean-Eudes.
 
- M. Mirliton… Vous faites partie de l’UFR Bombarde et biniou ? Ou du service des langues de belles-mères ? 
- Non, tenez, je suis là.  
- Ah non, ça c’est Jean-Paul, pas Jean-Eudes. Ah, vous voilà ! M. Mirliton. UFR des partis sans laisser d’adresse. Vous pouvez monter. 

- Il est pas venu ton patron ? 
- Sûrement pas ! Et s’il était venu, moi je serais pas là !  
- Le mien voulait pas que je vienne. Heureusement que madame Cling-Cling s’est désistée et qu’Hervé a pu me remplacer. 
- Ca rigole pas tous les jours dans votre UFR de danse du ventre.

 
        Pendant tout le voyage Jean-Eudes s’accroche à la poignée du siège devant. Ce n’est pas que le chauffeur conduise trop vite, c’est surtout à cause des secrétaires de l’UFR langues de belles-mères qui l’ont plutôt bien pendue et parfois assez vipérine.
- Vipérine était servante ! » lui commente une petite voix intérieure.
 
        A la descente du car on retrouve Jean Labouèze et Gwenaël Bombardier qui sont chargés de l’animation musicale de la randonnée. Comme de bien entendu, lorsqu’ils commencent à jouer, la pluie qui s’était arrêtée se remet à tomber. Cela n’entame pas l’ardeur à danser des filles de l’UFR « Plinn de Paris » qui, une fois enfilé leur vêtement de pluie, reprennent place dans le cercle circassien.
- … Des poètes disparus » ajoute la petite voix intérieure.

        Enfin, « comme disait la Cicciolina quand elle trouvait que les préliminaires avaient assez  duré », le troupeau s’ébranla.
 
        Dans la foule des joyeux randonneurs, Jean-Eudes a retrouvé madame Caffi, la bibliothécaire du Centre de folklore et de cuisine bretonne. Ils cheminent ensemble sur le chemin boueux en évitant de glisser dans les grosse flaques des ornières. 
- Comment va votre chorale Isabelle ? 
- Où c’est qu’il est, Jean-Paul ? 
- Moi , si je pouvais recommencer, je ferais choriste à l’Opéra. 
    
       Devant, derrière, partout le long du chemin de halage, toute l’Université échange dans la gadoue des menus propos qui constitue la preuve que R.T.T. peut rimer avec convivialité.
 

 
 
        Vers midi le soleil fait son apparition. On est arrivé près d’un lac et les filles de l’UFR « plinn de Paris » se mettent à déclamer les fameux vers de Lamartine :
- O temps suspends ton vol et sortons les casse-croûte !
Le seul et unique banc public est pris d’assaut pour le pique-nique. Tout le monde s’égaie, s’égaille, s’aiguise l’appétit.
- Où qu’il est Jean-Paul ? C’est lui qui a amené l’apéro !
Il y a quoi ? Six ? Sept mecs dans ce gynécée ambulant de mousmés en goguette ? Et ils s’appellent tous Jean-Paul !
Et, effectivement, les Jean-Paul en question sortent de leur besace des bouteilles de vin blanc, de vin rouge et des gobelets en plastique. L’un d’eux verse à sa collègue un liquide jaunâtre, à la transparence un peu douteuse. La bouteille ne porte pas d’étiquette.
- C’est de l’artisanale ! » commente-t-il.
Plus loin Obélix a enlevé ses chaussures et s’aère les doigts de pieds, adossé à un arbre, un verre de pinard à la main.
 
       La pause déjeuner dure une heure au cours de laquelle on discute, on rit, on se photographie, on casse du sucre sur le dos des absents. A ce petit jeu-là les filles de l’UFR de vulgarité novatrice sont les plus fortes. 
- Tu le connais pas, lui ? Tu perds pas grand chose. Il est gros con de chez Gros con ! 

        Evidemment, celtitude universitaire oblige, on se remet à danser en cercle après le café au son de l’accordéon et de la bombarde. 

 
        Et puis, pendant la dernière heure, le paysage devient ce coin de paradis qu’on appelle « les onze écluses ». L’UFR de botanique philosophique pérore à tour de bras. Jean-Eudes n’y peut décidément rien : il est complètement infoutu, malgré les commentaires savants de madame Caffi de retenir le nom des plantes et des arbres.
- Enfin, le lilas, monsieur Mirliton, vous le reconnaissez bien ?
- Euh, oui, bien sûr. C’est celui avec les fruits rouges ?
- Vous savez que je vais me marier bientôt ?
- Mes félicitations !
- J’attends simplement que mon futur mari ait reçu les papiers qui lui permettront de changer de nom.
- Quand un homme épouse une femme, c’est lui qui change d’état-civil, maintenant ?
- Mais non ! Arrêtez, vous me faites rire. C’est parce que Florent a un nom qui ne plaît pas à tante Marie-Bernadette.
- Il s’appelle comment, sans indiscrétion ?
- Florent Fouillemerde !
- Il travaille dans quelle UFR, votre futur ?
- Arrêtez, vous me faites rire ! Je ne vais pas épouser un universitaire ! Florent est détective privé.

        Allons bon, dit la petite voix. Le monde est vraiment très petit. Tout le monde connaît tout le monde à Rennes.

- Il a demandé à s’appeler comment maintenant ?
- Chassembrouilles. C’est joli, vous ne trouvez pas ? Et vous, du haut des Horizons, vous n’avez toujours pas retrouvé Isaure Chassériau ?
- Un chercheur n’est jamais pressé de trouver. Trouver, pour un chercheur, ce serait perdre sa raison d’être !
- Alors cherchez bien !
 
        Au bout de la randonnée, il y a cet endroit où Jean-Eudes est déjà venu, en été, pendant le Festival de poche. Une guinguette, juste avant qu’on ne retrouve la route qui monte vers Hédé, les parkings, les tables de pique-nique et les bouts de pelouse où toutes ces dames s’étendent afin de digérer les treize kilomètres qu’elles viennent d’accomplir. 

- Ah je vais pas m’asseoir sur cette bitte, elle est trop grosse pour moi ! commente une petite rousse de l’UFR de vulgarité novatrice.

 
      Jean-Eudes et Isabelle poursuivent le circuit en boucle jusqu’au pont et s’en reviennent auprès des péniches stationnées sur l’autre rive. 
- Il est rigolo, le Chinois, sur son buffle ! 
- Aussi chauve et girouette que Brice Lalonde ! 
- C’est qui , Brice Lalonde ? 

       Ils rejoignent le groupe. De ci de là, on entend encore et toujours : 
- Il est où Jean-Paul ?

 
 
 
        Le bus peine dans les cotes. Des dames somnolent. Un groupe de braillouses dans le fond fait le bruit du moteur et éclate de rire. On s’interpelle d’un bout à l’autre du car. On crie « klaxonne, chauffeur ».

        Isabelle a remis une affichette à Jean-Eudes. Elle organise une dernière soirée de lecture avec musique à la maison de quartier de Villejean le 25 avril 2002 à 20 heures 30.
Cela s’appelle « Tiramisu et mandoline ». C’est consacré à l’Italie.
- Elle a bien fait de me dire que c’était la dernière. Je vais y aller pour une fois ! » commente la petite voix intérieure de Jean-Eudes.
- C’est pas à Rennes 1 et Rennes 2 qu’ils organiseraient des journées comme celle-là ! commente quelqu’un. Ils sont bien trop sérieux dans ces universités-là ! »
 

 
        Madame Caffi… C’est bizarre, pense Jean-Eudes, on n’a jamais connu son mari. Je ne sais même pas quel était son prénom. Est-il retourné en Italie ?

- Il s’appelait Ippolito ! Tu peux le chercher sur Internet ! » commente la petite voix intérieure, sur un ton plus que malicieux.
 
 

 
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