CHAPITRE II : BOUBAT ET LES MYSTERES DE RENNES
14.  Une vieille dame a disparu
 
Photo n° 6, Bethléem, 1954

Mlle Venise Voloscenkov
33, rue de Sévigné
35500 VITRE
 

        Depuis le 1er janvier 1998, on ne trouve plus trace de Mme Elsa Venezia dans l'annuaire d'Ille-et-Vilaine à la page Rennes. Elle figurait pourtant encore bien dans l'édition de 1997. C'était elle la vieille dame et c'était moi la petite fille.

         Vos renseignements sont exacts, même si, pour ma part, j'ignore qui a pu vous raconter aussi précisément ces faits qui commencent à dater. J'ai effectivement assisté Mlle Isaure Chassériau dans son entreprise d'agence touristique rennaise. Le jeudi était alors jour de congé pour les enfants et Mlle Isaure faisait parfois appel à moi pour que je serve de guide dans certains de ses parcours.

         Aujourd'hui encore, je ne sais si je dois révéler les motivations, les désirs des clientes de l'agence que Mlle Isaure m'a confiées. A vrai dire, cela était très mystérieux pour moi et l'est resté. J'ai trouvé très jolie la formulation que vous avez relevée dans ce "brouillon du parcours du désir" : "Quel était le désir secret de la vieille dame que l'on a vue un jour guidée par une petite fille ?".

         En fait, suivant qu'il s'agissait d'une dame ou d'une demoiselle, le parcours différait. Je ne me souviens plus bien aujourd'hui de la topographie de la ville de Rennes que je n'habite plus, mais je peux vous dire que je faisais faire aux demoiselles le parcours de l'ange et aux dames celui de la maternité. Le premier passait dans toutes les églises et aussi devant la banque populaire de l'Ouest et devant un café de la rue Saint-Michel où trois angelots "profanes" étaient sculptés sur les façades. On s'arrêtait sur la place de la Mairie et bien souvent, après la lecture de ce texte, "Un ange passe", que vous avez retrouvé dans les archives, les demoiselles me payaient un tour de manège. Pourquoi ce parcours se terminait-il au cimetière du nord ? Peut-être à cause du cimetière des enfants, en bas à gauche ? Plutôt en fait à cause de la tombe en mosaÏque colorée de la famille Odorico. Une espèce de leçon d'optimisme et de dignité.
 

 
         Pour les dames, je faisais la tournée des vierges à deux têtes. C'était une plaisanterie d'un des oncles d'Isaure. A Rennes, à certains coins de rues, au-dessus de certaines portes, on a construit des petites niches dans lesquelles on a installé des statues de la Vierge. Comme certaines de ces niches étaient vides, l'oncle en question avait inventé qu'elles contenaient des Vierges à deux têtes ! Je ne sais pas pourquoi votre courrier m'a fait me souvenir de cette bêtise que j'avais pourtant bien oubliée ! Dans la rue qui mène au cimetière du nord, je me souviens encore qu'il y avait, à côté de l'église Saint-Martin, la plus belle des vierges de Rennes. La statue de Saint-Martin avait perdu ses jambes. Le pauvre avait aussi un pouce et un index en moins. Peut-être les avait-il donnés à un pauvre !
 
 
        Ce parcours-là passait par le Musée des Beaux-Arts. Je me suis replongée dans le catalogue, que je possède encore, et j'ai retrouvé avec émotion et amusement la "maternité aux manchettes de dentelle" de Maurice Denis et surtout le diptyque d'Aulnette du Vautenet : "Le départ du croisé" et "le retour du pèlerin" : en fait une bande dessinée en deux cases qui raconte une espèce de cocufiage !

        Etait-ce là quelque chose d'emblématique pour ces deux parcours ? Le fait de ne pas avoir d'enfants pour les vieilles demoiselles, le fait de voir les enfants grandir et partir pour les vieilles dames ? A Vitré, vous le savez peut-être, du fait de Mme de Sévigné, nous sommes très sensibles à ce deuxième thème. D'être guidées par une enfant dans les rues de Rennes donnait-il à ces personnes le sentiment d'une maternité (re)trouvée ? Ou d'une enfance provisoire ?

        Pour en revenir à Mme Elsa Venezia dont vous avez trouvé le nom sur le livre dédicacé à Isaure, je ne puis vous dire grand chose de plus. Elle m'avait offert à moi aussi un exemplaire de ce livre, en remerciement de la tournée des vierges, ou des anges, je ne sais plus. Le livre est très beau, il s'agit de la "Bible" de Boubat, et en le feuilletant, j'ai retrouvé une jolie image de maternité, une photo prise à Bethléem en 1954.

        N'hésitez pas à me rendre visite si vous en avez la possibilité. Le contenu de cette valise, les archives d'Isaure et vos… motivations m'intéressent.

        Je vous prie d'agréer, cher monsieur, l'expression de ma plus vive curiosité.
 
 
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