CHAPITRE II : BOUBAT ET LES MYSTERES DE RENNES
13. Pardonnez-moi, docteur (mystère n° 5)
 

- Entrez, madame, je vous en prie.
- Merci... Merci docteur.
- A titre tout à fait exceptionnel, je peux vous recevoir sans rendez-vous.
- Oui. Je vous en remercie, docteur.
- Un de mes patients s'est décommandé, sinon ma secrétaire a dû vous dire. Mais asseyez-vous madame, je vous en prie.
- Oui merci. Vous êtes bien le Dr Sylvain de La Noue ? Lui-même ?
- En personne, chère madame.
- Pardonnez-moi docteur si je viens vous importuner pour un motif un peu exceptionnel.
- Désirez-vous que je vous ausculte ? Vous pouvez-vous déshabiller derrière ce paravent.
- C'est que... je ne suis pas malade, docteur.
- Ah ! Alors qu'est-ce qui vous amène ?
- Je viens vous rendre votre manuscrit.
- Mon manuscrit ?
- L'année dernière, ainsi que je l'ai fait moi-même, vous avez participé au concours d'écriture "Les Sévignales" organisé par la Poste et la ville de Vitré.
- Ah oui, en effet. D'ailleurs, puisque vous m'en parlez, j'ai reçu ce matin un paquet en provenance de la Poste que je n'ai pas encore déballé.
- C'est pour ça que je viens vous voir, docteur. La Poste vous a renvoyé votre manuscrit, tout comme elle m'a renvoyé le mien.
- Alors... Je ne comprends pas...
- Pardonnez-moi, docteur, mais vous avez sans doute remarqué que nous sommes en pleine période de vacances, n'est-ce pas ?
- Bien sûr, mais...
- La personne qui a fait les réexpéditions doit avoir besoin de vacances elle aussi. Elle s'est trompée. Elle m'a renvoyé un manuscrit qui n'est pas le mien.
- Mais je ne vois pas en quoi...
- J'ai téléphoné à madame Hélène Affable, à la direction de la communication de la Poste. D'après son fichier, le manuscrit que j'ai reçu est le vôtre. Je viens vous le restituer et récupérer le mien.
- Ah, je comprends mieux. Vous me ramenez "le dossier Renezia" ?
- Le dossier Renezia ? Non. Le manuscrit que j'ai reçu s'appelle "Du golf d'Etretat au golfe persique". C'est une correspondance entre Hercule Poirot et Miss Marple. Je l'ai lue, c'est très amusant, très "à la Pérec". L'auteur a placé dans son texte le plus grand nombre possible de titres de romans d'Agatha Christie. C'est signé Dominique Sauvage. Ca n'est pas votre pseudonyme ?
- Ah non.
- Pardonnez-moi, docteur, je ne comprends plus. Ils se seraient encore trompés ?
- Je n'ai pas de pseudonyme car les envois devaient être anonymes !
- Est-ce que ça vous dérangerait d'ouvrir votre paquet ? Que je puisse au moins récupérer le mien !
- Vous m'accordez un petit instant. Le voilà. Ah c'est sympa ! Ils nous ont offert l'almanach de madame de Sévigné, un bouquin sur Mermoz et un recueil de lettres de poilus de 14-18. On n'a pas tout perdu ! Eh bien le voilà votre manuscrit : "Souvenirs de Samfou-les-Boules". Vous permettez que je le feuillette ? Vous avez bien lu celui que vous pensiez être le mien ! C'est rigolo ces illustrations. Ah tiens, des photos de Venise ! C'est vous qui les avez fabriqués tous ces petits timbres du royaume de Sabolie ?
- Les timbres ? Des timbres ? Non, il n'y en a pas dans mon manuscrit. D'ailleurs ça n'est pas celui-là. Le mien s'appelle "A la recherche d'Alice et du n° 6".
- Nous voilà dans une drôle de situation ! Vous avez reçu un manuscrit qui n'est pas le vôtre et qui n'est pas le mien non plus. J'ai reçu un manuscrit qui n'est pas le mien et qui n'est pas plus le vôtre. Et sans doute que deux autres personnes sont comme vous à la recherche de leur manuscrit égaré ! Vous ne voulez vraiment pas vous déshabiller  derrière ce paravent pour que je vous ausculte ?
- Docteur !
- Je plaisantais, madame ! Au fait, vous n'avez même pas pris le temps de vous présenter.
- Pardonnez-moi, docteur. Mademoiselle Chassériau. Isaure Chassériau. Le mieux serait peut-être que je rappelle madame Affable, mais elle m'a dit qu'elle partait en vacances jusqu'au 31 août. Ou peut-être faut-il que je joigne la personne qui a écrit le manuscrit que vous avez reçu ? Il n'y a pas de nom d'auteur sur la couverture ?
- "Souvenirs de Samfou-les-Boules, du roi François 1er, de sa cour, de son bouffon Joe Krapov...". C'est sûrement aussi un pseudonyme !
- Bon tant pis, j'attendrai le 31 août. Pardonnez-moi, docteur, de vous avoir dérangé. Je vais faire autrement. Au revoir.

         Elle sort. Le docteur Sylvain de La Noue reste seul un instant, songeur, dans son cabinet, puis s'aperçoit qu'elle a oublié le manuscrit de Dominique Sauvage. Il sort et rappelle :
- Mademoiselle ! Mademoiselle !

 Mais il n'y a plus personne dans le couloir ni même dans la rue.
 

***
         Il y a deux fins possibles à cette histoire. Le docteur, qui est tombé amoureux d'Isaure dès qu'il l'a aperçue - son insistance à vouloir qu'elle se déshabille ! - parvient à la recontacter par le biais d'Hélène Affable. D'abord ils s'écrivent, se parlent des manuscrits qu'ils ont reçus, se les échangent (Isaure n'a pas lu les "Souvenirs de Samfou-les-Boules" puis décident de participer ensemble à l'édition 2000 des Sévignales en écrivant "à quatre mains". Evidemment, à cause de la photo de Boubat publiée à côté dans le Télérama n° 2587 (les garçons à la traîne !), cela se termine par un mariage dont Hélène Affable accepte d'être le témoin.

        C'est bien sûr la fin n° 2 qui est la plus plausible et la plus mystérieuse. En consultant l'annuaire d'Ille-et-Vilaine, puis les pages blanches sur Internet, le docteur ne trouve aucune trace d'Isaure Chassériau. Sans doute s'agit-il d'un pseudonyme ?
        Après le 31 août, il arrivera peut-être à joindre Hélène Affable pour lui demander le nom de l'auteur de "A la recherche d'Alice et du n° 6". Bien entendu, on ne lui dira pas.
        En attendant, comme il faut bien gagner sa croûte, il fait entrer la cliente suivante.
 

 
 
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