CHAPITRE XVII : LA PLUME ET LE PINCEAU
18 : Le réalisme socialiste
    
      Le réalisme socialiste est de retour à Rennes. C'est un événement d'autant plus incroyable que personne ne s'était aperçu de sa disparition. Oh bien sûr les Rennais ont des circonstances atténuantes : cela fait vingt cinq ans sinon plus que les socialistes détiennent la mairie et font preuve dans leur gestion d'un réalisme plutôt… foncier. 
 
 
        Mais le réalisme des gestionnaires socialistes n'a presque rien à voir avec celui des artistes peintres dont il est question ici. Et surtout le réalisme socialiste était un mouvement fort imprégné d'idéologie plutôt communiste. Il a vu le jour dans l'ex-URSS, il a été adopté par les Chinois, les Allemands de l'Est, les Cubains et les soixante-huitards français avec, à chaque fois, un égal bonheur d'inspiration créatrice.
 
     Les œuvres de l'école rennaise du réalisme socialiste (ERSS) que nous vous présentons ici sont des petits joyaux dans le genre post-déviationniste. La représentation d'une culture de la masse (mi marteau, mi faucille) adaptée au paysage urbain rennais (PUR) ne manque pas de piquant.
 
     Sur le mur de l'"Espace vert" qui resplendissait il y a encore peu au soleil du quai Saint-Cast, les ouvriers de Citroën n'ont qu'un œil ! A la place d'une Kalachnikoff, le révolutionnaire brandit un poireau ! Les cheminées fument en rouge et noir comme les sponsors du Stade Rennais. Les slogans en russe ne veulent rien dire : croyez en la longue expérience d'un gars qui a essayé d'apprendre le russe pendant cinq ans et qui est réputé pour savoir chanter Kalinka en faisant durer au moins vingt cinq secondes le "aaaaaaa" interminable du ténor à la fin du refrain.
 
L'autre fresque rennaise de l'ERSS est elle aussi appelée à disparaître : elle orne la palissade du chantier du NEC, le nouvel équipement culturel où vont se trouver regroupés le Musée de Bretagne, la Bibliothèque municipale et le Centre de culture scientifique technique et industrielle. Ici le marteau est devenu marteau-piqueur et les slogans vantent le NEC (la NEP ?!) et Rennes Métropole. Les feuilles mortes au pied de la palissade ont l'air de manifester pour qu'on les ramasse à la pelle !
 
        Mais il faut admirer surtout les maîtres du Kremlin qu'on voit en train de plancher sur le chapitre CR 08 du plan quinquennal et qui ont l'air de ne pas très bien comprendre ce qui se passe. 

- Quand la construction sera terminée… Ca s'appellera toujours le NEC ? 
- C'est vrai que dans vingt ans, Nouvel équipement culturel… 
- On a le choix. Soit on baptise comme ça tout ce qu'on va construire dorénavant : Nouvel Equipement Rennais de Football (NERF), Nouvel Equipement de Remisage des Outils de Nettoyage (NERON), etc. Ou alors on onomatope là. 

 - C'est à dire ?
- C'est à dire qu'on prend modèle sur le BLIZZ, le nouvel équipement patinoiristique. C'est le bruit que font les patins sur la glace qui a donné son nom à ce nouvel équipement.
- Le nouveau restaurant municipal s'appellera donc… le MIAM MIAM ?
- Exact. Et le nouvel équipement piscinistique s'appellera le PLOUF.
- Mais pour le NEC alors… Quel bruit est-ce que ça peut faire, la culture ?
- Ah ça, c'est une très bonne question. Je ne vous remercie pas de me l'avoir posée.
- Pourquoi on n'appellerait pas ça l'ALZHEIMER ? Vu que la culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié ?
 
 
              Ka           lin             ka                  ka                 lin         ka            ka               lin           ka  maia
 
            Le réalisme socialiste est de retour à Rennes. Faut-il s'en réjouir ou au contraire être joyeux de constater que ce phénomène est aussi passager que, mettons, les cigognes ? Je l'ignore. Mais depuis que je revois des queues interminables devant les boulangeries à cause du passage à l'Euro - des serpents monétaires ! - je sais que j'ai plaisir à stationner rue de Clisson devant la Maison slave. Les matriochkas qui sont là m'enchantent. Et cet après-midi, si Marina Bourgeoizovna, mon épouse, ne me tanne pas pour aller faire une balade à vélo, je me regarderais bien à nouveau la cassette du film "Anastasia » en sirotant de la vodka. A moins que je ne réécoute l'intégrale du Lac des cygnes, de Tchaïkovsky, en lisant Zochtchenko. 
 
 
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