M. Ferdinand FLURE
Agence Dupondet et Dupontet 120, rue de la Gare 65125 LES HAUTS DU TOURMALET |
Isabelle me surprendra toujours. Aujourd'hui, elle m'a entraîné
au Musée des Beaux-Arts de Rennes voir l'exposition consacrée
à Ernest Guérin.
Tu ne dois pas connaître ce monsieur, mon cher Ferdinand, car sa renommée est purement locale. Il s'agit d'un peintre enlumineur né à Rennes en 1887 et j'ai beaucoup aimé ses grands aquarelles représentant des filles des Forges en costumes traditionnels qui défilent dans la lande et s'en vont à Paimpont pour aller demander pardon au curé de s'être moquées de lui dans la chanson qui porte son nom. |
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J'aurais beaucoup de mal pour ma part à dresser un plan des salles du Musée de Rennes mais j'ai commencé par faire le tour d'une espèce de galerie qui semble tourner autour d'une cour carrée avant de me retrouver face à des trucs modernes du genre vrai Picasso. Puis, une fois que j'ai été perdu - Isabelle était allée faire un tour de son côté - j'ai suivi l'indication "sortie" et je me suis retrouvé face au tableau de la jeune fille en rose dont le conservateur m'avait donné une reproduction sous forme de carte postale et qu'on retrouve sur une photo prise en 1960 où l'on voit cette jeune fille dans la même attitude attendant à la porte d'un café. |
- Ce n'est pas
possible, ce tableau ! a commenté Isabelle venue se planter derrière
moi sans que je l'entende venir. Elle n'a pas de clavicules, pas d'épaules.
C'est comme si le peintre avait dessiné ce personnage sans avoir
le modèle sous les yeux.
- Moi ce sont ses joues qui me semblent bizarres. Elle a un visage mince mais le nez est plus gros et les joues sont bien plus charnues que sur la carte postale. Elle a l'air d'une enfant de treize ans alors que sur la carte postale, elle est une jeune femme. - C'est peut-être un faux. C'est sans doute un faux" a dit Isabelle en s'agenouillant au pied du tableau. - Qu'est-ce que tu fais Isabelle, tu es folle, tout le monde va te regarder. Tu vérifies la signature ? - Non, je regarde les auréoles ! - Elle a des auréoles sous les bras ? Ou sur la tête, comme les saintes ? |
Isabelle s'est relevée.
- C'est… surprenant ! J'avais
remarqué quelque chose de semblable au Louvre sur le
tableau des cousines. Tu as vu que la peinture commence à s'écailler
ici aussi ?
Isabelle me surprendra toujours. J'ai attendu qu'il n'y ait personne dans la salle, je me suis agenouillé et j'ai constaté qu'elle disait vrai. |
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Nous avons tourné après l'écluse et longé le
canal d'Ille-et-Rance dans lequel ne subsistait qu'un filet d'eau.
- Ce sont les écourues
a-t-elle commenté. On vide les canaux pour les nettoyer.
- J'ai vu ça aussi à
Samfou-les Boules. Ca n'évite pas pour autant les inondations !
- Regarde, Florent ! a-t-elle
crié tout à coup ! Ce n'est pas possible !
- Quoi donc encore? - Ils l'ont abattue ! La petite maison ! Le squatt artistique ! La secte du poireau ! Les fresques réalistes socialistes ! L'Espace vert ! - Je ne vois rien ! - Je les avais photographiées et voilà, elles ne sont plus là. C'est fabuleux ! |
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- Regarde. Ca c'est le garage
tout au bout du quai Saint-Cyr. Les fenêtres sont des phares, le
portail est une calandre et sur le mur est peint le reste de la voiture.
Le bâtiment a été démoli cet été.
- Ca me fait penser aux Tontons flingueurs ! J'avais un rendez-vous dans ce café et quand j'y suis allé, il était abattu, lui aussi. |
- Justement, j'ai pris aussi des photos des graphs qui étaient sur sa façade. Ici, c'est une enseigne en centre ville. Elle est posée à l'angle d'une rue et quand on arrive on ne lit que le début du slogan. |
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- Tu crois vraiment ? Regarde
celle-là, encore.
- Tu as vraiment l'œil ! "Gwenaelle Hanne, sage-femme" sur la plaque et sur la porte "poussez fort". Elle a déménagé ? - Non. Elle a fait réparer la porte et fait enlever l'indication "poussez fort" |
- Mais réfléchis
un peu, Florent. En 1838, la
photographie n'était pas encore vraiment inventée. La
jeune fille s'est fait tirer le portrait par son oncle.
- La jeune fille s'est fait tirer par son oncle ? Ca va pas, Isabelle ? - La peinture… Tu as vu le portrait de l'oncle Eugène ? Tu sais ce que ça fait, Florent, de perdre son âme ? |
Ce matin, une chose m'est revenue de mon rêve de la nuit. Un détail
de la conversation d'hier soir qui a traversé les limbes du sommeil
pour rester incrusté dans ma conscience à mon réveil.
- Le sexe d'Isaure !
- Oui ? a demandé Isabelle.
- Tu devrais en parler sur
ton site ! J'imagine tes lecteurs en train de faire la queue devant le
tableau puis de s'agenouiller ou de s'accroupir pour vérifier le
coup de la spirale !
Pour le coup, Isabelle n'a pas ri. Elle me surprendra toujours.
Que tout disparaisse, au fond, c'est peut-être tout simplement...
normal ? Demande à Madame Lapsi ce qu'elle en pense et transmets
lui mes amitiés.
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