CHAPITRE XVII : LA PLUME ET LE PINCEAU
4, L'indicatrice
   
        Elle m'avait donné rendez-vous "près de la tête dans la fontaine". Place de Coëtquen à Rennes. Là où se trouve la sculpture de Parmiggiani. 

- Comment vous reconnaîtrai-je ? avais-je demandé. 
- J'aurai un imper gris muraille, des lunettes avec des verres épais et une tête à fréquenter les musées. En arrivant près de la fontaine vous sifflerez l'air du "P'tit Quinquin" et je répondrai en chantonnant "Avec l'ami Bidasse". 
- Ok ! avais-je dit et j'avais raccroché. 

        C'est seulement après que je m'en étais souvenu : je ne sais pas du tout siffloter et je ne connais pas l'air du "P'tit Quinquin".

 
     A l'heure dite, cependant, elle était là, reconnaissable entre toutes malgré ses côtés passe-partout.

- Florent Fouillemerde, m'étais-je présenté.
- Marieke G.

        Je fis attention de ne pas broyer la petite main maigrelette qu'elle me tendait.

- Alors, Mademoiselle G. Vous avez des informations sur Isaure Chassériau ?
- Sur le musée, Monsieur, sur le musée. Il s'y passe des choses étranges
- Des choses de quel genre ?
- Depuis que le conservateur a changé, ce n'est plus pareil. Déjà, toute cette histoire du Musée de Bretagne fermé au public pour cause de déménagement…
- Le Nouvel Equipement Culturel, c'est bien ça ? C'est bien là que vont aller les collections, n'est-ce pas ?
 
- Ca, ça n'est pas très important. Vous devriez vous demander pourquoi on a restructuré le Musée des Beaux-arts et surtout pourquoi on a fermé les volets de certaines salles. Regardez ces oiseaux. Ils ne vous disent  
rien ? 

        Elle me montrait une fenêtre au premier étage du magasin de vêtements pour hommes. La fenêtre était ouverte et dans la salle à l'intérieur des oiseaux voletaient autour des branches d'un arbre. La tapisserie représentait un ciel bleu sans nuages. 

- A part un perroquet qui avait la fâcheuse habitude de demander "Qui c'est !" à un plombier de ma connaissance, je ne connais pas d'oiseaux susceptibles de me confier leurs petits secrets. 
 
 

 
- Et vous êtes détective privé ? Vous m'étonnez monsieur. Avez-vous pris la peine de visiter le musée avant de commencer votre enquête ? 
- Ben… Si elle est partie, la donzelle, c'est peut-être normal que je la cherche ailleurs que dans le musée, vous ne trouvez pas ? 
- Ces oiseaux que vous voyez là, ce sont les mêmes que ceux de "l'arbre aux oiseaux". Une toile de Jan Van Kessel qui figure dans les collections du Musée des Beaux-arts de Rennes.
- Vous pensez qu'eux aussi se sont enfuis du musée et que c'est à cause de ça qu'on a fermé les volets ?
- Vous savez ce que dit le catalogue du musée à propos de ce tableau ? Ceci : "réunion charmante de spécimens ornithologiques aux coloris éclatants, ce petit tableau évoque parallèlement les concerts parodiques qui fleurissent sous le pinceau des artistes nordiques à cette époque".
- Tout ça ne me dit pas où est Isaure.
- Vous savez qu'elle a été peinte alors qu'elle avait 20 ans ? Et savez vous l'âge qu'elle avait quand elle est morte, sans doute de tuberculose ?
- Ben…Non.
- 33 ans. 33 ans ! Ca ne vous rappelle rien ?
- Ben… Non. 
- Et l'oncle, l'auteur du tableau, cet Eugène Amaury-Duval si sombre, si noir, si effrayant, savez vous qu'il a vécu de 1808 à 1885, soit 77 ans ? Ce qui n'est pas mal du tout pour l'époque. Vous connaissez Franz Xaver Winterhalter ? 
- Ben… Non. C'est un ami à vous ? 
- C'est un autre peintre qui a peint les demoiselles des cours d'Europe à peu près à la même époque. Lui aussi a vécu très vieux. Vous ne trouvez pas un peu bizarre cette longévité des peintres ?
- Ben…Non. Remarquez, Barbara Cartland, 98 ans… C'est pas mal non plus, vous ne croyez pas ? Bon c'est sûr, sa période rose est moins intéressante que celle de Picasso mais…
- Savez vous qu'Isaure est allée au Japon ? Enfin, quand je dis Isaure, je devrais dire le tableau la représentant…
- Vous pensez qu'elle aurait pu tomber amoureuse d'un cerisier en fleurs là-bas et sortir de son tableau pour aller le retrouver ?
- Vous savez quel est l'endroit de Rennes qui ressemble le plus au Japon ?
- Ben… Non.
- C'est le campus de Beaulieu. L'Université de Rennes 1. Hautes technologies, informatique, petit étang en forme de cornue, bâtiments de verre, allées sous portiques envahis de végétation, saules pleureurs… Et tout de suite à gauche en arrivant, vous avez le CRI et l'IFSIC. Vous savez ce que ça veut dire, ces acronymes ?
- Ben… Non. Je sais même pas ce que c'est un acronyme !
- CRI : Centre de Recherche d'Isaure. IFSIC : Institut Français de Supputations sur Isaure Chassériau. 
- Non ? Vous vous moquez de moi, là ? 
- Vous devriez aller faire un tour là-bas, monsieur Fouillemerde. Et puis un de ces jours, si jamais par malheur il pleuvait, allez donc visiter le Musée des Beaux arts. Il y a un autre tableau de Jan Van Kessel, très intéressant lui aussi. Il s'appelle "Entrée dans l'arche". 
- Dans l'arche de la Défense ? 
- Je vous souhaite bon courage, monsieur Fouillemerde. N'hésitez pas à suivre mes conseils. 
 
        Elle prit congé. Quand elle eut disparu place de la Mairie, je m'aperçus que je ne lui avais même pas proposé d'entrer dans un bistrot boire un verre. J'étais vraiment en baisse depuis un certain temps. Mais la soirée ne faisait que commencer.
 

 
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Rennes en délires
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