A première vue, cette fenêtre n'a rien d'exceptionnel. Vous
pourriez passer devant, jour après jour, sans même la voir,
sans même lui accorder un regard. Vous pensez bien, c'est un garage
qu'il y a derrière, c'est une fenêtre d'atelier. Ensuite vient
un portail puis une autre fenêtre, pareille. Pas le
moindre intérêt, tout ça. Et puis vous allez à votre travail, à votre rendez-vous, vous avez une course à faire, vous êtes pressé(e) de rentrer chez vous. |
Et là les choses se précipitent. Le chauffeur accélère.
Il se retrouve bientôt sur la route de Paris à
foncer comme un dingue dans la
nuit noire. A l'arrière, pour la énième fois, la princesse
s'est réveillée.
Le prince charmant à ses côtés a posé la main
sur sa cuisse nue pour la rassurer.
- Ne
t'inquiète pas, ma lady. C'est encore eux. Le chauffeur va les semer."
Eux, ce sont les anges de l'Enfer. Ils sont vêtus de blousons de cuir noir, ils chevauchent des monstres d'acier à deux roues, il y en a un qui pilote l'engin et l'autre qui est armé d'un fusil à lunette, ou plutôt d'un canon à oeil. Celui-là est prêt à tirer, dès que l'autre se sera propulsé à la hauteur de la voiture. Ce soir encore ils sont toute une horde.
La princesse est fatiguée. Elle a encore trop bu au restaurant, ce soir. Elle le sait pourtant bien qu'elle ne supporte pas le Champagne. Surtout l'été.
- Ca y
est, je les ai semés, lance victorieusement le chauffeur en appuyant
encore davantage
- est-ce
possible ? - sur le champignon.
- Mais
qu'est-ce que c'est que cette conne ? hurle-t-il soudain en freinant un
max.
La Mercédès noire semble s'affoler sur la route. Elle me
fonce dessus, me fait des appels de phares, elle me heurte, elle me propulse
en avant et je me rabats sur la voie de droite pour lui laisser le champ
libre et...
- Et je
me réveille en sursaut, en sueur, terrorisée, culpabilisée,
épouvantée. Oui, j'ai bien appuyé sur le bouton d'éjection
des clous. Oui, les pneus ont éclaté et peu après,
la voiture noire est allée terminer sa course contre un pilier du
pont. Oui, j'ai bien gardé le contrôle de ma Fiat Uno et je
suis rentrée chez moi sans encombres. Oui, j'ai du mal à
me rendormir. Je tourne l'oreiller dans tous les sens pour retrouver le
sommeil et quelquefois, docteur, je sors de ma chambre et je vais finir
ma nuit sur le canapé dans le séjour.
- Et
vous dîtes que vous faites ce rêve toutes les nuits ? Depuis
combien de temps
exactement
?
- Depuis
trois ans, docteur.
Le docteur se lève, va jeter un oeil à la fenêtre.
Sur le quai, en face, les deux phares de la Mercédès peinte
sur le mur sont éteints. Les deux fenêtres du garage sont
noires, comme tous les jours.
- C'est
bizarre... dit-il. Vous pouvez venir voir, Mlle Chassériau ? La
voiture qui vous poursuit... Elle ressemble à celle-là ?
- C'est
exactement ce modèle, docteur.
- Bon.
Je vais vous donner d'autres somnifères mais... Je serais vous,
je la revendrais la Fiat Uno. Je connais un marchand très bien.
Un nommé Bagatelle...
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