Finalement j’étais très bien à la maternité.
Tout était beau, tout était propre, tout était blanc.
Le problème c’est que je n’y suis pas restée longtemps. Je
suis née sur un grand tapis et de par ma nature même j’ai
gardé au devant de moi mon cordon ombilical.
Mes sœurs et moi avons avancé doucement et au bout d’un certain temps on nous a séparées. Chacune de nous a été enfermée dans un sac de plastique transparent. Et puis on m’a posée sur une banquette blanche et on a fermé le ciel au-dessus de moi. Il a fait noir très longtemps. J’étais seule, je m’ennuyais un peu mais je sentais bien qu’un moment viendrait où les choses changeraient. Après quelques péripéties liées à des transports plus ou moins brutaux, plutôt moins d’ailleurs, j’ai revu le grand jour et trouvé mon plein emploi dans cet appartement rennais. |
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Dans la vie, on n’est rien les uns sans les autres. S’il n’y avait pas
Momo, Tactac et Dédé pour travailler avec moi je crois bien
que les maîtres m’auraient balancée depuis longtemps à
la poubelle. J’ai entendu dire qu’en général, dans une maison
bien tenue, mes congénères n’avaient pas leur place. Moi
j’ai trouvé la mienne. Maintenant, je peux le dire, je suis bien
en mains.
D’accord, c’est Dédé qui fait tout le boulot en cuisine. Mais comme je disais tout à l’heure, on n’est rien les uns sans les autres. S’il n’y avait pas Momo pour tenir la caisse et afficher les prix et si Tactac et moi n’étions pas là pour enregistrer les commandes des clients, on pourrait plier boutique illico. On est une belle équipe, on fait de la belle ouvrage. Quand je regarde Momo, je suis stupéfaite à chaque fois de voir ce qu’on peut produire tous ensemble. |
La fille est bien. Très bien. Elle file une galette à Dédé
et aussitôt après c’est home-cinéma. J’adore être
là, cool, allongée sur le tapis rouge, et regarder les petits
singes qui sautent dans la caisse à Momo.
Le père de famille lui en a surtout après Tactac. Il n’arrête pas de lui taper dessus. Je sens que Tactac va déposer plainte bientôt. Quand nos maîtres sont partis, il m’en touche deux mots. Lui aussi préfère la jeune fille et ses films. Mais moi j’aime bien quand même les photos du père de famille. Je ne comprends rien à ses délires mais parfois la mère vient se poser derrière lui, elle regarde Momo et elle éclate de rire. |
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La mère, elle, ce n’est pas très drôle ce qu’elle programme. Des tableaux, des tableaux, des tableaux. Attention, pas des tableaux comme dans les musées, hein, le genre portrait d’Isaure Chassériau, le Radeau de la Méduse et tout ça, non, des tableaux genre statistiques de l’INSEE. |
Finalement je suis bien dans cette maison-là, dans cette famille-là.
Je sais que je peux compter sur Momo et Tactac, ils sont solides,
ils ne vont pas lâcher. Le maillon faible, c’est Dédé.
Il a l’air d’un gros dur comme ça mais en fait il vieillit mal ces
temps-ci. Et surtout il n’a pas des capacités terribles. Le père
et le fils n’arrêtent pas de s’engueuler à son sujet.
- Y a qu’à le formater, dit le fils. - Tu toucheras pas à mon disque dur, je te l’interdis » répond le père. |
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Le plus pénible
dans cette famille, c’est la nourriture. Les parents ont beau le leur interdire,
je ne comprends pas pourquoi le fils et la fille s’obstinent à me
donner à manger des miettes de gâteau ou de fromage. Je ne
suis pas une souris !
Enfin… si, bien sûr, mais… |