CHAPITRE XV, ARRETE, TU ME DEPRIMES
Texte 102 : Attention ! Rennes sera bientôt détruite !
 
 
         Depuis deux jours je marche sans m'arrêter et suis plutôt abasourdie. Il ne reste que le Thabor, plein d'oiseaux, et la prison, pleine de poissons. Les ruisselets, cours d'eau, reversoirs de marais, la Seiche et les étangs d'Apigné semblent s'être déversés dans l'hexagone. Pas de brèche dans le mur, un grouillement dans l'eau ; seule la croix de pierre émerge, c'est assez irrésistible. Mais nettement plus reposant que le Thabor plein de piaillements et de battements d'ailes. D'ailleurs j'ai moins peur de pêcher que de piéger et plus l'habitude de manger quelque plie au lieu d'un perroquet.
 
         Si je marche, c'est que j'aimerais savoir où je suis mais je n'ai plus de repères. D'accord la colline du Thabor et celle de la prison, mais pourquoi aucune trace de la colline Saint-Cyr ou des buttes de Coësmes. La lave a tout recouvert, épargnant seulement ces deux promontoires. Qui d'ailleurs ont été rapprochés, c'est pourquoi j'ai commencé à marcher. Rennes, ce qu'il en reste, ce que j'en vois, n'est peut-être plus à Rennes mais plus loin, à l'Est, au Sud, je l'ignore.
 
         Je marche, et si j'en crois le soleil, je marche vers le Nord. A ma droite, posée dans un champ, voici la coupole de la Cité judiciaire. Elle est toute éclairée et de la musique s'en échappe. Je continue mon chemin, persuadée d'avoir été victime d'une hallucination.
 
         Maintenant, j'en suis sûre, ce sont les deux maisons jumelles du quartier Sainte-Thérèse qui sont là, à l'intersection de ces routes départementales, et d'ailleurs, en face, c'est le 108 du boulevard Jacques Cartier avec sa fenêtre en moucharabieh.
 
         Je renonce à comprendre, me sens plutôt excitée et désireuse de découvrir tous les morceaux de ma ville dispersés dans la campagne.
 
         Voici la gare, elle n'est plus sur des rails mais elle enjambe un canal. Voici l'usine Oberthur avec sa belle couleur brique. Elle a perdu son parc et se retrouve entourée du palais de la République et du Palais Saint-Georges : je dois dire que ça a de l'allure.
 
         Le Triangle est plus loin, ce qui convient très bien à l'étroitesse des rues qui convergent vers lui : la Psallette, Saint-Yves, Saint-Georges s'entremêlent et logent leurs maisons à pans de bois sous sa grande halle.
 
         Je n'ai pas vu la mairie ni l'Opéra. Sans doute sont-ils partis dans une autre direction. Par contre j'ai retrouvé les quais, fleuris de géraniums, pleins de lumière et de jets d'eau. Toutes les fontaines et les sculptures de la ville se trouvaient réunies le long de la rivière, cela faisait comme une grande exposition en plein air : les beaux arbres de la ZUP convenaient très bien dans ce paysage aménagé et ça m'a semblé tout naturel de voir la Vilaine ainsi parée traverser la place de Zagreb pour le plus grand plaisir des immeubles aux alentours. Finalement, ce sera plus agréable d'aller à Saint-Malo désormais : il y aura beaucoup de choses à visiter tout au long du trajet.
 
 
                                             Marie-Bernadette Bertrand
 
 
 
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