Jetant un regard sur la voie 2, je m'étonnai de ne point voir l'autorail avec lequel je devais achever mon parcours vers Lannion. A cette heure tardive de la soirée, l'autorail attendait en général, avec un bruit de vieux diesel, les rares voyageurs et les emmenait sans tarder à destination. Je laissai donc repartir le TGV qui me sembla désert vers d'autres cieux et traversai ensuite la voie pour aller me renseigner à la gare.
Je fus très étonnée de n'y trouver personne, pas le moindre passager, pas le moindre parent endormi venu chercher son voyageur à la gare, pas le moindre employé des chemins de fer. Juste une musique sortant des hauts parleurs que je finis par identifier pour le Requiem de Mozart. Les rideaux de fer des guichets étaient fermés jusqu'en bas et autour de la gare régnait une épaisse nuit noire. Tout cela commençait à m'inquiéter un peu. S'il s'agissait d'un mouvement de grève, toujours possible , il y aurait eu des avertissements et des affiches collées sur les portes de la gare L'employé au départ m'avait vendu sans problème un aller retour. Et toujours personne à l'horizon ! Je n'allais quand même pas passer la nuit dans cette gare déserte et glaciale, avec cette musique sinistre alors qu'un bon lit m'attendait chez moi.
Ah enfin , voila quelqu'un qui pourrait bien être le chef de gare.
- Pardon
monsieur, il y a bien une correspondance pour Lannion dans quelques minutes
?"
- Ah
non, mademoiselle, il n'y a plus de gare à Lannion, le dernier train
est parti avant-hier soir, c'est fini."
- Ca
n'est pas possible , enfin, il y a trois semaines on m'a vendu un aller-retour
sans m'informer de rien . Et comment va-t-on à Lannion alors ?"
- Il
y a trois semaines on n'en savait rien , ce sont les nouvelles consignes
. Je ne peux rien pour vous. D'ailleurs vous avez de la chance de m'avoir
trouvé, je devrais être chez moi mais j'avais oublié
mon portable ... Bonsoir mademoiselle "
J'étais tellement abasourdie que je le laissai s'éloigner sans le moindre geste. Ca alors... Mais qu'allais je donc bien faire ? Appeler un taxi, c'est ça , voila une solution simple. Comment n'y avais je pas pensé plus tôt ? Je trouvais sans peine, appuyée contre la gare, la cabine téléphonique et y glissai ma carte ; j'y mettrais le prix qu'il fallait mais j'allais rentrer chez moi... A l'autre bout du fil, une voix impersonnelle serinait : "il n'y a pas de correspondant au numéro que vous avez demandé..." et pourtant je faisais le numéro affiché sur la cabine pour appeler les taxis . Je raccrochai rageusement à la troisième tentative. Bon, c'est gênant d'appeler les amis à minuit, mais en cas de force majeure ... Mes amis m'ont assez souvent reproché de ne jamais compter avec eux ... Cette fois j'allais les déranger vraiment. Las, chez tous ceux que j'osai appeler, j'entendis leur voix me dire : "Vous êtes sur la messagerie de Machin, laissez votre message ...". Tu parles d'un réconfort...
Bon, j'allais devoir me résoudre à une nuit à l'Hôtel
des voyageurs. L'hôtel avec ses volets verts était juste en
face de la gare, mais je n'avais pas encore remarqué qu'il n'y avait
aucune lumière allumée, aucune porte ou fenêtre ouverte.
Tout était noir, sombre et semblait désaffecté et
j'eus beau solliciter la sonnette, personne ne répondit...
J'allais
faire demi tour vers je ne sais quel horizon, quand une vieille petite
dame sans doute dérangée par le bruit de la sonnette, entrouvrit
sa fenêtre et s'adressa à moi :
- Il
n'y a plus personne, ils sont partis dans leur maison, de toute façon,
il n'y aura bientôt plus de train et donc plus de voyageurs.
Je la
regardai d'un air abruti. Elle ajouta :
-" Qu'est
ce que vous leur vouliez , à une pareille heure ?"
J'expliquai
que, comme il n'y avait pas de train pour Lannion, je cherchais soit un
moyen pour m'y rendre, soit un endroit pour passer la nuit et attendre
jusqu'à demain. Elle me dévisagea d'un rapide coup
d'oeil et dut me trouver présentable...
-
Il y a bien la chambre de ma fille, il n'y a pas beaucoup de confort mais
ça sera toujours mieux que la gare ... si vous n'êtes pas
trop exigeante."
J'assurai
que ça me conviendrait très bien et fis assaut de politesses
pour m'assurer que ça ne l'ennuyait pas trop.
-" Mais
non, puisse que je vous le propose, je descends vous ouvrir."
Enveloppée dans un vieux châle mauve par dessus sa robe de
chambre de couleur indéfinissable, elle m'introduisit dans un couloir
sombre qui sentait la soupe de légumes et me fit poser mon sac dans
une chambre déjà fort encombrée Le lit était
couvert d'un dessus de lit en chenille ocre jaune et des napperons au crochet
décoraient le dossier des fauteuils.
Pendant
que chauffait l'eau de la tisane qu'elle m'avait proposée pour bavarder
un moment, je lui demandai si elle n'avait pas un journal récent
car j'avais de plus en plus envie de comprendre quelque chose à
tous ces étranges phénomènes.
- Vous
n'avez pas de chance, je viens juste de les mettre au fond de ma poubelle",
me répondit-elle.
- Alors
expliquez moi donc : il n'y a ni train, ni taxi, ni hôtel, ni même
de voyageurs ? Je n'y comprends rien, j'ai vécu sans nouvelles
depuis quinze jours "
- Je
ne vais pas bien savoir vous dire, je n'ai pas tout compris : c'est à
cause de l'ordinateur. Et puis c'est le gouvernement , ils ont pensé
que ça serait plus simple..."
-L'ordinateur
? Le gouvernement a dit quoi ?"
Elle
haussa les épaules et servit l'eau dans les tasses.
- Ben
, que ça ne sert plus à rien de voyager, puisque on peut
tout faire de chez soi avec les ordinateurs. Enfin pas moi, je ne
sais même pas à quoi ça ressemble, mais bon ça
ne change pas grand chose pour moi, je n'allais jamais nulle part ... Je
peux toujours acheter mon pain , mon lait et mon journal à l'épicerie.
Parait qu'on peut tout faire sans bouger de chez soi maintenant, faire
ses courses, aller chez le médecin, rencontrer son mari, voyager
dans tous les pays du monde, lire son journal , parler avec sa famille
et toute la vie quoi... Alors ils ont décidé que les trains,
les voitures, tout ça, ils allaient les supprimer, ça fait
des économies et puis comme ça les gens restent chez eux.
C'est moins dangereux aussi et puis ça doit être de la politique...?
".
Et elle
ajouta trois sucres dans sa tisane et la but en silence.
La Girafe 11.11.99
Ce serait quand même malheureux
que les Rennais ne puissent plus aller admirer les rochers roses de Ploumanach,
si beaux même sous le ciel
noir !
J.P.L. |
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