CHAPITRE XV, ARRETE, TU ME DEPRIMES
Texte 101, Le dernier train de Plouaret-Trégor
 
 
         Le train venait de s'arrêter et j'ouvris la porte du coté du quai.  Depuis Rennes, il n'y avait plus personne dans mon compartiment et il semblait aussi que j'étais la seule à descendre à la gare de Plouaret.  Il faut dire que de tout temps, bien peu de monde fréquentait cette gare minuscule sur la ligne de Paris Brest qui n'avait tenu que grâce à la ténacité des Bretons et à leur obstination à défendre cet arrêt Je descendis donc sur le quai traînant avec moi mon pesant sac à dos.  Je venais de passer deux semaines à arpenter en solitaire le massif du Vercors et je reprendrais demain pied dans ma vie ordinaire.  Je n'avais même pas eu le courage d'acheter un journal à la gare Montparnasse pour savoir si la terre avait continué de tourner pendant mon absence.

         Jetant un regard sur la voie 2, je m'étonnai de ne point voir l'autorail avec lequel je devais achever mon parcours vers Lannion.  A cette heure tardive de la soirée, l'autorail attendait en général, avec un bruit de vieux diesel, les rares voyageurs et les emmenait sans tarder à destination.  Je laissai donc repartir le TGV qui me sembla désert vers d'autres cieux et traversai ensuite la voie pour aller me renseigner à la gare.

         Je fus très étonnée de n'y trouver personne, pas le moindre passager, pas le moindre parent endormi venu chercher son voyageur à la gare, pas le moindre employé des chemins de fer.  Juste une musique sortant des hauts parleurs que je finis par identifier pour le Requiem de Mozart.  Les rideaux de fer des guichets étaient fermés jusqu'en bas et autour de la gare régnait une épaisse nuit noire.  Tout cela commençait à m'inquiéter un peu. S'il s'agissait d'un mouvement de grève, toujours possible , il y aurait eu des avertissements et des affiches collées sur les portes de la gare L'employé au départ m'avait vendu sans problème un aller retour. Et toujours personne à l'horizon ! Je n'allais quand même pas passer la nuit dans cette gare déserte et glaciale, avec cette musique sinistre alors qu'un bon lit m'attendait chez moi.

        Ah enfin , voila quelqu'un qui pourrait bien être le chef de gare.
- Pardon monsieur, il y a bien une correspondance pour Lannion dans quelques minutes ?"
- Ah non, mademoiselle, il n'y a plus de gare à Lannion, le dernier train est parti avant-hier soir, c'est fini."
- Ca n'est pas possible , enfin, il y a trois semaines on m'a vendu un aller-retour sans m'informer de rien . Et comment va-t-on à Lannion alors ?"
- Il y a trois semaines on n'en savait rien , ce sont les nouvelles consignes . Je ne peux rien pour vous. D'ailleurs vous avez de la chance de m'avoir trouvé, je devrais être chez moi mais j'avais oublié mon portable ... Bonsoir mademoiselle "

         J'étais tellement abasourdie que je le laissai s'éloigner sans le moindre geste.  Ca alors... Mais qu'allais je donc bien faire ? Appeler un taxi, c'est ça , voila une solution simple.  Comment n'y avais je pas pensé plus tôt ? Je trouvais sans peine, appuyée contre la gare, la cabine téléphonique et y glissai ma carte ; j'y mettrais le prix qu'il fallait mais j'allais rentrer chez moi... A l'autre bout du fil, une voix impersonnelle serinait : "il n'y a pas de correspondant au numéro que vous avez demandé..." et pourtant je faisais le numéro affiché sur la cabine pour appeler les taxis . Je raccrochai rageusement à la troisième tentative.  Bon, c'est gênant d'appeler les amis à minuit, mais en cas de force majeure ... Mes amis m'ont assez souvent reproché de ne jamais compter avec eux ... Cette fois j'allais les déranger vraiment.  Las, chez tous ceux que j'osai appeler, j'entendis leur voix me dire : "Vous êtes sur la messagerie de Machin, laissez votre message ...". Tu parles d'un réconfort...

         Bon, j'allais devoir me résoudre à une nuit à l'Hôtel des voyageurs. L'hôtel avec ses volets verts était juste en face de la gare, mais je n'avais pas encore remarqué qu'il n'y avait aucune lumière allumée, aucune porte ou fenêtre ouverte.  Tout était noir, sombre et semblait désaffecté et j'eus beau solliciter la sonnette, personne ne répondit...
J'allais faire demi tour vers je ne sais quel horizon, quand une vieille petite dame sans doute dérangée par le bruit de la sonnette, entrouvrit sa fenêtre et s'adressa à moi :
- Il n'y a plus personne, ils sont partis dans leur maison, de toute façon, il n'y aura bientôt plus de train et donc plus de voyageurs.
Je la regardai d'un air abruti.  Elle ajouta :
-" Qu'est ce que vous leur vouliez , à une pareille heure ?"
J'expliquai que, comme il n'y avait pas de train pour Lannion, je cherchais soit un moyen pour m'y rendre, soit un endroit pour passer la nuit et attendre jusqu'à demain.  Elle me dévisagea d'un rapide coup d'oeil et dut me trouver présentable...
-  Il y a bien la chambre de ma fille, il n'y a pas beaucoup de confort mais ça sera toujours mieux que la gare ... si vous n'êtes pas trop exigeante."
J'assurai que ça me conviendrait très bien et fis assaut de politesses pour m'assurer que ça ne l'ennuyait pas trop.
-" Mais non, puisse que je vous le propose, je descends vous ouvrir."

         Enveloppée dans un vieux châle mauve par dessus sa robe de chambre de couleur indéfinissable, elle m'introduisit dans un couloir sombre qui sentait la soupe de légumes et me fit poser mon sac dans une chambre déjà fort encombrée Le lit était couvert d'un dessus de lit en chenille ocre jaune et des napperons au crochet décoraient le dossier des fauteuils.
Pendant que chauffait l'eau de la tisane qu'elle m'avait proposée pour bavarder un moment, je lui demandai si elle n'avait pas un journal récent car j'avais de plus en plus envie de comprendre quelque chose à tous ces étranges phénomènes.
- Vous n'avez pas de chance, je viens juste de les mettre au fond de ma poubelle", me répondit-elle.
- Alors expliquez moi donc : il n'y a ni train, ni taxi, ni hôtel, ni même de voyageurs ?  Je n'y comprends rien, j'ai vécu sans nouvelles depuis quinze jours "
- Je ne vais pas bien savoir vous dire, je n'ai pas tout compris : c'est à cause de l'ordinateur.  Et puis c'est le gouvernement , ils ont pensé que ça serait plus simple..."
-L'ordinateur ? Le gouvernement a dit quoi ?"
 Elle haussa les épaules et servit l'eau dans les tasses.

- Ben , que ça ne sert plus à rien de voyager, puisque on peut tout faire de chez soi avec les ordinateurs.  Enfin pas moi, je ne sais même pas à quoi ça ressemble, mais bon ça ne change pas grand chose pour moi, je n'allais jamais nulle part ... Je peux toujours acheter mon pain , mon lait et mon journal à l'épicerie.  Parait qu'on peut tout faire sans bouger de chez soi maintenant, faire ses courses, aller chez le médecin, rencontrer son mari, voyager dans tous les pays du monde, lire son journal , parler avec sa famille et toute la vie quoi... Alors ils ont décidé que les trains, les voitures, tout ça, ils allaient les supprimer, ça fait des économies et puis comme ça les gens restent chez eux.  C'est moins dangereux aussi et puis ça doit être de la politique...? ".
Et elle ajouta trois sucres dans sa tisane et la but en silence.
 
                                                                                   La Girafe 11.11.99
 
Ce serait quand même malheureux que les Rennais ne puissent plus aller admirer les rochers roses de Ploumanach,
si beaux même sous le ciel noir !
                                                  J.P.L.
 
 
 
 
 
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