C'est un avion bizarre. Il carbure à l'huile Socony reg.U.S. Pat.
off. L'hélice est à l'intérieur de la carlingue, dans
l'entrée. Les passagers peuvent fumer pour se décontracter.
D'ailleurs ceux du vol précédent ne se sont pas gênés.
J'ai de la peine à respirer tant l’atmosphère me semble opaque.
Heureusement que tout à l'heure le steward passera dans l'allée
centrale et qu'il ouvrira un hublot au fond. Qu'il le fasse avant qu'on
ne décolle, quand même.
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Ca n'est pas un avion moderne. Juste un vieux zinc de la compagnie Saint-Michel. Saint-Michel, à l’assaut du ciel. C'est le slogan de la compagnie aérienne. J'aurais pu m'adresser à la Janata, à la Roma ou au Bureau d'Air-France, juste en face. J'ai choisi cette compagnie-ci à cause de sa façade vert empire et à cause des gros avions jaunes peints sur ses vitres. |
Le Zing est un A 26 Invader. Pas question de sièges tout confort. Celui sur lequel j'ai pris place est en bois commun. On dirait une chaise de coiffeur, un peu comme celle sur laquelle je me hissai lorsque j'étais enfant et que j'allais chez Lemerlan, le coupe-tifs de mon village. Un grand tabouret de bois sombre avec dossier et accoudoirs. |
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Le steward vient me proposer de prendre un verre avant l'envol. A tout
hasard je lui demande une bière blanche et je suis agréablement
surpris d'apprendre qu'il en sert aussi. Ca m'aurait embêté
de devoir acheter une bouteille de whisky à 300 F, surtout que je
n'aime pas le whisky.
Les passagers vont et viennent. Ils sont jeunes, les gars ont des têtes
d'aviateurs, le cheveu court, les lunettes de soleil rejetées sur
le haut du crâne, les femmes, jolies et les bras nus, ressemblent
à des Brésiliennes. Toutes et tous fument comme des sapeurs
: sans doute l'appréhension du premier vol. Au bout d'un moment
ils sont tellement décontractés que le type muet assis entre
les deux bavardes se met à bâiller à s'en décrocher
la mâchoire.
Ca y est, on est partis. L'avion fait un bruit régulier, style boîte
à rythme de musique techno.
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- A la limite c'est ce qui
se passe pour les enterrements style junkie, ca se passe chez une autre
personne que la famille.
- A 11 heures je suis en boîte. - Muscadet ? - Rien ne nous empêche de prendre un petit apéro, après je fais le spectacle, Anne n'est pas au courant. - A la limite c'est plus intime pour vous - Ouais, c'est plus rigolo. - C'est pas une boîte, c'est un bar. - Le Banana club ? David y bossait, là. - Y'a que deux gogos. - Clarisse, c'est la personne avec qui je danse, généralement. Sinon c'est 700 F la bouteille. |
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Je me réveille. "Boucle d'oreille dans le lobe gauche" est toujours
en train de bavasser. John Lennon période new-yorkaise est toujours
muet, assassiné par le babil d'enfer de l'autre. Juste devant, le
bailleur du fond parle de sa copine.
- Je l'appelle Seccotine. Elle
m'endort.
Mon voisin, le touriste, celui qui a pris tout à l'heure des photos
de l'intérieur de l'avion est en train d'écrire. Il a pris
lui-aussi une bière blanche et il a posé une pile de plans
et de guides touristiques sur sa tablette. J'aperçois un plan de
Vienne, un guide de Bréhat et un plan de Cesson-Sévigné.
Je ne suis pas sûr que ça va lui servir beaucoup tout ça
à Alger. J'espère qu'il ne s'est pas trompé d'avion
!
Ca y est le poum poum poum du moteur s'arrête. Sur le tarmac de l'aéroport
d'Alger, c'est déjà le souk. La première chose que
je vais faire en arrivant à l'hôtel des Délices c'est
aller prendre une douche et laver mes fringues pour faire partir cette
persistante odeur de clope.
Ensuite je me mettrai en quête du zouave. C'est lui qui aurait enlevé Isaure Chassériau. Cette fois j'ai une piste sérieuse. Pas loin de l'hôtel des Délices il y a un restaurant qui s'appelle Khalifa où un certain capitaine John Spaulding m'a donné rendez-vous. |
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