PATRON, C'EST MA TOURNEE !
2. Le Nez-rouge café
 Florent Fouillemerde
Agence Fiat Panda
4, rue des Petits-Champs
35000 RENNES

                                             M. Ferdinand FLURE
                                             Agence Dupondet et Dupontet
                                             120, rue de la Gare
                                             65125 LES HAUTS DU TOURMALET

                            Rennes, le 5 décembre 1999

              Mon cher Ferdinand

         On ne sait jamais si c'est la poule qui fait l'œuf ou si c'est l'œuf qui fait la poule. Une chose est sûre, le coq lui ne fait rien que parader sur son tas de fumier en lançant des "cocorico" vaniteux d'après coït ultra-furtif, avec l'air de vouloir dire : "Alors, t'as vu, ma poule, comment je sais te rendre heureuse ?".

         Mais je m'égare déjà. A vrai dire, j'ai l'impression d'être égaré depuis le début de cette enquête. Tout le monde ici la connaît, la môme Chassériau, mais personne ne sait rien d'elle. Revenons à la poule et à l'œuf.

         S'il y a tant de sociétés secrètes  à Rennes est-ce parce qu'il y a un nombre important de bistrots qui ont deux étages ? Ou bien, s'il y tant de bistrots à deux étages à Rennes, est-ce à cause du nombre grandissime de sociétés secrètes dans cette ville ?

         En tout cas, dimanche dernier, encore une fois, je me suis trouvé mêlé aux membres de l'une d'entre elles. C'était au Nez-Rouge café, près de la cathédrale. Il me plaît ce bistrot. De l'extérieur, on ne soupçonne pas l'existence de la salle à l'étage. On voit, par la fenêtre du rez-de-chaussée, la cuve métallique où la bière est brassée ; et les fenêtres de l'étage sont occultées par des livres empilés. Cela me fait penser au deuxième étage du château de Sablé, à l'époque où les vieux romans de la Bibliothèque Nationale y venaient pour être désacidifiés dans une cuve à peu près identique.
 
 Finalement, j'avais fini par y entrer au Nez-Rouge. Je m'étais installé au comptoir, histoire de tirer les vers du nez (rouge) du patron. Et puis au bout d'un moment, j'ai bien vu que certains clients empruntaient l'escalier avec un air de conspirateurs et se rendaient à la salle de l'étage. Mais c'est quand j'ai entendu l'accordéon que je suis monté mettre mon nez dans les affaires de cette secte-là..
          Il ne lui manquait qu'un boa, à la chanteuse. Cheveux courts, regard de myope, accompagnée d'un accordéoniste prénommé René, elle s'appelait Anne et interprétait des chansons des années trente à cinquante entre deux lectures de textes, faites par des membres de la secte. Le gourou, un dénommé Hervé, semblait quant à lui échappé d'une Bande dessinée de Martin Veyron et présidait paisiblement cette étrange cérémonie. L'assemblée était pour le moins hétéroclite : des étudiants rennais, bien sages, en couples mais aussi des dames d'allure très respectable, genre profs ou fonctionnaires, et même une maman avec une adorable petite fille blonde à qui l'on faisait tirer, dans un chapeau melon, les numéros des textes qui seraient lus ensuite : "Vertige 10, Désir 5, Regard 7…". Et les membres de la secte se repassaient de main en main leur petit livre noir (un missel ? une bible ? un recueil de pensées politiques ? Ils l'appelaient "le guide" !)  dans lequel ils piochaient les textes correspondants aux numéros tirés  pour en faire une lecture publique.

         J'avoue que j'ai été plus fasciné par la chanteuse. Elle a interprété "Mon homme" de Mistinguett, "Jeu de massacre", que je connaissais par Juliette et dont les paroles sont d'Henri-Georges Clouzot, "L"Accordéoniste" de Gainsbourg, une chanson très drôle sur le charité-business et une autre encore plus tordante sur le thème du maître de maison qui tombe amoureux de sa bonne.

         Malgré la qualité de l'interprétation et des lectures, je suis redescendu peu après. Je ne me sentais pas à l'aise dans cette ambiance. Peut-être étaient ce les textes, un peu sombres à mon goût, peut-être était-ce le "cocktail du secret", un peu corsé, qu'on avait servi à tout le monde. En tout cas, l'épisode du Café de la poste avait porté ses fruits. On m'avait eu une fois avec un atelier d'écriture, on ne me ferait pas le coup une deuxième fois avec un atelier de lecture. J'ai vérifié qu'aucune des jeunes filles présentes ne ressemblait à Isaure Chassériau, qu'aucun des textes lus n'évoquait quoi que ce soit la concernant et j'ai continué ma route ailleurs.

         Amitiés à Madame Lapsi-Lajolusse.
 

Pauvre Florent Fouillemerde ! Le hasard fait bien mal les choses. Il était ce soir-là en présence d'Anne (la chanteuse), de Katia et de Jean-Paul, le trio  d'enquêteurs du Théâtre de l'Arpenteur qui avait détenu un temps les archives de l'AFAR avant de se faire dérober tous les papiers d'Isaure (voir chapitre I, Les parcours du désir). Et ce ballot ne s'est rendu compte de rien ! A ce train là, comme disait le chanoine Schmid, "son enquête n'est pas près d'Aboukir" ! Et parfois le chanoine ajoutait, avec cet humour si particulier qui le caractérisait : "Aboukir à Namur ou Onassis ?"

 
 
 
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