LES POEMES DE THEODORE CHASSERIAU
19. La complainte de l'académicien
 
 
  Cela fait des années que je suis immobile,
Oublié des clients, confiné à l'étage.
Empereur exilé dans un vague ermitage,
Vieux roi ayant perdu la boule, un peu débile,
 
 
Je passe, tous les jours et toute la semaine,
En ce logis ancien, des heures trop paisibles
A me ressouvenir d'événements risibles.
Parfois pourtant la foule envahit mon domaine
 
Et c'est un peu, pour moi, la fête de nouveau.
Sur les rebords laqués de mon bel habit vert
On pose des manteaux et des livres ouverts,
Un orgue Bontempi, de superbes tableaux ;
 
On me redonne alors de l'autre bout du monde
Des nouvelles récentes ; on me chante des airs
D'opérettes anciennes et des rythmes impairs,
Envoyés avec fougue et ferveur à la ronde
 
Retentissent bientôt dans mon petit réduit.
Flûte, violon, guitare et même cornemuse
Viennent accompagner les taquineurs de muse
Qui se relaient sans trêve aux abords de la nuit.
 
Puis la fête s'arrête et je sens des frissons
Quand le patron ferme la porte du café.
Revenez vite, ô vous qui m'avez assoiffé
De belles voix, de poésie et de chansons !
 
Le billard de l'Amaryllis