CHAPITRE XI : LE DOSSIER RENEZIA
Texte 103, Itinéraire de Rennes à Rome ou Les mémoires d'une valise
 
 
        Ouf ! Nous y voilà.  Elle m'en a tant parlé, on va aller à Rome. Je n'imaginais pas ce que ça pouvait être, ça m'inquiétait un peu.  Pour y arriver, il y a eu de drôles de moments ; je n'ai pas toujours compris ce qui se passait.  Mais cette fois qu'on y est, je trouve que c'est plutôt bien.  Elle m'a mise sur un tapis tout doux et le soleil par la fenêtre qui me réchauffe, je me sens bien. 
 
        Mais, au fait, vous ne me connaissez pas.  Il faut que je vous raconte mon histoire, elle n'est pas banale, je vous assure. 
 
        De mes premiers instants, je n'ai pas de souvenir.  Ma mémoire remonte au jour où je me suis trouvée coincée dans une foule de bagages à vendre comme moi dans un magasin où il passait des tas de gens qui nous bousculaient, nous donnaient des coups, nous soupesaient, nous tournaient et nous retournaient sans ménagement car vous devez savoir que je suis une valise.  Faut-il préciser que la vie d'une valise dans un magasin n'est pas très facile : à la fois monotone et trépidante, sous les spots, dans le bruit et la bousculade sans attention de la part des visiteurs, anonyme.  Moi qui me croyais plutôt mignonne, j'ai vite compris que dans ce monde-là il y a bien de l'esbroufe : certaines valises sont immenses, elles croient en imposer; d'autres sont ridiculement petites, certaines ont un nom.  Moi, au début, je riais dans mes jupons car je suis juponnée de gris et bleu, mais je ne me montre pas à tout le monde.  Très vite, je me suis recroquevillée dans mon coin.  Jusqu'au jour où deux dames à l'air conquérant sont arrivées au rayon où je dormais.  Dans mon demi-sommeil, j'ai entendu "Regarde, la bleue, elle est pas mal". Je me suis sentie l'objet d'une curiosité ; elles m'ont soulevée, soupesée, mise à côté de consoeurs, ouverte, fermée, regardée sous tous les angles, je commençais à avoir le mal de mer.  Mais là, j'ai compris que je les intéressais vraiment ; intérieurement, j'ai rougi, je jubilais.  "Tu crois qu'elle va lui plaire ?".
 
        Tiens, il y a donc une troisième personne qui n'est pas là.  Enfin, elles me font rouler vers la caisse.  Je vais donc m'en aller, sortir au grand air.  J'ai respiré un grand coup; ça sentait un peu l'essence mais c'est quand même mieux que l'air conditionné.
 
        Ces gentilles dames parlaient beaucoup , elles riaient et semblaient très excitées par ma présence.  Vous pensez si je me rengorgeais ! Un peu inquiète, je ne le montrais pas pour paraître sous mon meilleur jour.
 
        Elles m'ont conduite quelque part où elles m'ont enrubannée, décorée et chargée de jolis mots.  Et puis, après un tour en voiture on m'a débarquée dans une grande maison, un peu comme le magasin d'où on m'avait tirée, mais là j'ai trôné avec mes rubans au milieu de gâteaux, de bouteilles et de gens qui se sont mis à chanter...
... quand une des dames qui était venue me chercher au magasin est entrée avec une autre dame qui avait l'air toute surprise d'être là.  Au premier contact, elle m'a paru un peu bizarre : figurez-vous, j'ai cru qu'il pleuvait à l'intérieur de cette maison car j'ai senti une goutte d'eau me tomber dessus.  C'était la nouvelle dame qui était un peu fontaine, ça s'est vite dissipé.  Et là il s'est passé quelque chose : elle m'a enlevé mes rubans, mes beaux papiers. C'est alors que j'ai compris que je lui étais destinée.  Je l'ai regardée de plus près, elle aussi m'a regardée, m'a ouverte et m'a trouvée très belle.  Elle a même montré mes jupons à ceux qui étaient là, j'étais un peu gênée mais quand même contente.
 
        Je ne sais plus très bien ce qui est arrivé, tout se bouscule dans ma tête : ce fut une bien belle journée pour moi.  Vers 18 heures, tout le monde a disparu et j'ai été étalée sur une chaude couverture et quand elle a voulu dormir, elle m'a déposée au pied de son lit.
 
        Vous ne savez pas, évidemment, que elle, c'est Monique.  Ce sera donc ma compagne désormais et je vois que nous allons nous entendre.  Elle fait tout pour mon confort, et je le lui rends bien.
 
        Dans des conversations, j'ai parfois entendu dire:" Oh!  Celui-là ce n'est pas un cadeau".  Eh, bien moi, je peux vous le dire, toute valise que je suis, je suis un cadeau et je n'en suis pas peu fière.
 
        A moi, le cadeau, elle a annoncé : "On va aller à Rome".  Ont suivi des tas d'essais, ouverture, fermeture, verrouillage par code , je me laisse faire docilement, elle a l'air si contente.  Quand elle est fatiguée des essais et des essayages, elle me range gentiment alors je me repose en rêvant de ce que va être ce Rome dont elle me rebat les oreilles. 
 
        Dans la maison où je vais donc vivre maintenant vient de temps à autre quelqu'un à qui j'ai été présentée dès mon arrivée : "Voilà, c'est ma valise" et à moi : "C'est ma soeur, Marie-Madeleine".  Toutes les deux m'ont confié leurs habits bien pliés et qui sentaient bon, j'en ai pris soin, ravie d'une telle confiance.  Quand Monique me laisse, Marie-Madeleine m'enlève mes poussières et me bichonne.  C'est une bonne maison.  Comme je plains les pauvres qui sont restées en magasin !
  
        Pour aller à Rome, elles m'ont parfumée et remplie à ras bord de plein de petites choses.  Pendant des jours, elles ont chamboulé tout mon contenu.  Arrive le jour du départ.  Quelle expérience ! Elles m'ont abandonnée sur un comptoir où on m'a pesée - heureusement que j'étais avec ma consoeur la valise de Marie-Madeleine, verte et rayée mais sympa. Elle en a déjà vu des comptoirs d'aéroport, elle m'a encouragée.  Quelle promiscuité 1 J'ai craint d'avoir un malaise par la chaleur et l'entassement.  On nous a mises dans des soutes, il parait qu'il y faisait moins 50°.  Rien à dire, ma compagne et sa soeur se trouvaient dans le même avion, mais pas dans la soute.  Vais-je les revoir ? Ma consoeur verte et moi tournions sur un tapis et les deux soeurs nous ont retrouvées : faut-il qu'elles nous aiment pour nous retrouver dans ce tohu-bohu.
        Et c'est après qu'ont commencé ce qu'elles appellent des vacances.
 
       Sortez sans moi.  Je suis à Rome, je profite du calme et du confort.  Le premier jour avec copains et copines - ils étaient 96!- ils sont allés au Pincio voir Rome d'en haut et la villa Borghèse.  Ca ne m'intéressait pas, j'en ai une maison, moi, à Villejean.  Quand elles sont rentrées, elles n'ont pas arrêté de causer.  Finalement, ça m'a fait envie ; demain, moi aussi, j'irai.  Rome c'est peut-être autre chose que la chambre d'hôtel ?
 
         Au lever, le deuxième jour, elles ont fouillé dans mon intérieur pour choisir la robe à mettre.  Déception, elles ne m'ont pas proposé de les accompagner; j'ai décidé de les suivre de loin, dans la centaine, je vais passer inaperçue.  C'est ainsi que j'ai visité des tas d'églises, les quatre grandes basiliques, la place Navone, Fontaine de Trevi, le Forum, la rue Condotti, elles s'arrêtaient à chaque vitrine, les musées du Vatican, la coupole de Saint-Pierre, j'ai vu le Pape, et j'ai vu les deux soeurs manger des glaces et boire un chocolat chez "Ai tre tartufi". 
        Le soir, j'étais sur les genoux.  Et je les entends se raconter la journée, les visites.  Par moments, la nostalgie les prend: elles évoquent les collègues, Villejean ... Tout le monde y passe Nathalie, Nolwenn, Danielle, Alexandrine et le bébé à venir, Marie-Françoise, Eric, Thérèse,Marie-Noëlle, Béatrice, René, Tonton, les Catherine, Jean-Paul (celui-là me fait un peu peur : il paraît qu'il balance tout ce qui lui tombe sous la main sur le Web 1 J'ai été assez balancée comme ça, je ne voudrais pas me trouver en face de lui pour subir ce sort.

        Les jours suivants, je suis restée dans le jardin.  Le sixième jour, déménagement.  Un car nous transporte à Assise.  Deux jours passent, et on reprend le car, l'avion et encore le car.  Je suis rôdée à présent.  Arrivederci, Roma.

        Je suis revenue dans mon placard, je m'y sens bien, ayant rempli ma fonction ... Jusqu'à la prochaine fois qui sera… l'Irlande ? Chypre ? Carcassonne ?

        Pour l'instant, je savoure le repos et l'air du jardin qui arrive par la fenêtre.
C'est une bien belle vie que celle de la valise que je suis.
Ciao, les amis, à bientôt. 
                                         
                                      La valise de Mlle P. 
 
      Les soeurs P. font-elles réellement partie de la société secrète Renezia ? Le photographe de "Grands reportages" à qui nous devons les photos de cette page a publié dans son magazine une photo des soeurs P. visitant la ville de Rome à vélo. Si vous passez par Villejean et si vous les reconnaissez, faites nous signe. 
 
 
 
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