CHAPITRE VI : PETITS PORTRAITS DE RENNES EN FETE
13. La Dame blanche
 
 
- Hutch a été accusé de meurtre !  
- Non ? Et Starsky ?  
- Il a donné sa démission.  
- Ah ! Tout de même !  
- Tu finis ton verre ?  
- C'est déjà l'heure ?  
- Ouais. 
         Ils sortent. Ils font quelques pas dans la fraîcheur du soir. On n'est que fin octobre et il fait déjà nuit sur le mail François Mitterrand.
- On n'est que fin octobre et il fait déjà nuit sur le mail François Mitterrand ! fait remarquer le gros barbichu.
- Ailleurs aussi, je te signale. Y a pas que là !" rétorque l'imper mastic à grosses lunettes d'écaille.

        Arrivés au bout de l'esplanade, ils tournent devant la plaque "Ecluse du Mail". Les voilà sur le quai. Les deux péniches, "l'Arbre d'eau" et "la Dame blanche" sont immobiles, éclairées par l'ossature d'un grand tipi bleu, un ruissellement de perles par-dessus la Vilaine.
- C'est joli, ce grand tipi bleu. On dirait un arbre d'eau.
- C'en est un. C'est le nom de la péniche aussi.
- Ah, oui, c'est écrit sur l'avant. Du coup c'est l'autre, "la Dame blanche" ?
- Tu m'étonneras décidément toujours, Dick Dracy ! Il y a un proverbe touareg qui dit… Attends que je me souvienne… "Entre la fin de la jeunesse et le début de l'âge mûr, t'as deux trois jours.
- T'en as pour deux trois jours ?
- Tu n'as que deux trois jours. Si tu mets à côté de ça cette idée d'Aragon selon laquelle… Attends que je me souvienne… C'est avec les jeunes sots qu'on fait les vieux cons… On ne sait pas trop, finalement, si pour ce qui te concerne, ça n'équivaudrait pas à un état de grâce.
- Dis donc, Mick Mac Cormick ! A propos d'état de grâce, tu sais qu'il y a un mail François Mitterrand à rennes ?
- Oui.
- Tu sais qu'il y a une allée du Labrador à Rennes ?
- Oui, peut-être.
- Tu sais qu'il y a une place de la Baltique, à Rennes ?
- Si tu le dis…
- Et est-ce que tu sais s'il y a une rue Mazarine à rennes ?

        Mac Cormick soupire. Il pousse le gros sur la passerelle. Ca ne va pas être une partie de plaisir, ce soir.

        Ils montent à bord de la péniche. C'est ambiance cabaret, à l'intérieur : petit comptoir, tables rondes, lumière tamisée, des tableaux sur les murs. Ils s'installent. Les gens ont des airs sélects, polis, bien élevés, propres sur eux, discrets, feutrés. L'accueil est sympathique

- C'est un club d'intellos, ici ? demande Dick Dracy.
- A partir de maintenant, tu te tais, OK.

        Il fait bien. Quelques minutes après, l'accordéon envoie ses premières mesures. Le comédien est assis sur un grand tabouret, juste devant leur table. Il dit du Baudelaire, du Rimbaud, du Boris Vian. Et entre deux de ses textes une jeune femme au regard d'oiseau envoie des chansons tristes à crever accompagnée par le piano à bretelles. Elle s'appelle Marie Octobre. Les textes et les chansons parlent de bistrots, de filles perdues, d'ivresse. A l'entrée on leur a remis une petite brochure bleue sur laquelle ils ont pu lire "Littérature et bistrots".

- Dans une péniche ! Lire en fête ! Marie Octobre ! Tu parles d'un blaze !" commente Dick Dracy à l'entracte.
- T'inquiète pas pour elle. Le mois prochain elle chante à Vitré, elle s'appellera Marie Novembre. Elle change de nom tous les mois.
- Elle est vraiment pas bonne cette bière. ON aurait mieux fait de prendre un verre de vin avec une tartine de rillettes. En plus elle me monte déjà à la tête.
- T'es un fortiche, toi, mon gars ! C'est une bière sans alcool !
- Ah bon ? J'avais pas remarqué.
- Est-ce que tu as remarqué par contre la petite dame blonde là bas à côté du barbu qui a une tête de marin ?
- Ouais. Tu crois qu'il y a du grain à moudre, par là ?
- Je sais pas. Faut voir. C'est plein de gens bizarres ici.

        Pendant la deuxième partie du spectacle le gros se fait prendre en otage par la chanteuse : elle vient lui faire du gringue pendant une chanson d'Odette Laure qui s'appelle "Le Tango immobile". Et puis, avant que le spectacle soit fini, Dracy tire Mac Cormick par la manche.
- Je crois  que j'ai le mal de mer. On peut y aller, Mick ? Toutes ces chansons noires, en plus. On est vraiment en Bretagne, ce soir !
- Arrête, tu me déprimes. Je crois qu'on est de toute façon sur une fausse piste. Allez, fais discret, on se casse.

        Dehors le ciel est dégagé comme en été. Dick Dracy commente :
- Toutes les étoiles, t'en enlèves la moitié, il en restera toujours assez pour faire un ciel étoilé ; par exemple, tu renverses du sucre en poudre, t'en as partout ; t'en renverses que la moitié, t'en as quand même partout.

        Mack Cormick soupire. Le président a beau bien les payer, ce n'est pas rien finalement, cette recherche d'Isaure Chassériau, dans les rues de Rennes la nuit, avec ce gros idiot-là dans les pattes.

 
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