CHAPITRE III : NOTES DE PARCOURS DE P'TIT LOUIS
12, Notes prises pour le parcours des yeux fermés.
2, Le boulevard de la T.A.
 

 Avant de partir prendre des notes sur ce parcours là, j'ai demandé à Isaure :
- Qu'est-ce qu'il y a boulevard de la T.A. ?
- Rien. Une caserne." m'a-t-elle répondu.

 Il y a tellement peu de choses boulevard de la T.A. que les Rennais ne prennent même plus la peine de nommer complètement cette artère de leur ville. Le boulevard de la Tour d'Auvergne, c'est le boulevard de la T.A.

 C'est vraiment un parcours du rien. On peut le faire les yeux fermés, les yeux bandés plutôt, emmené par un guide et se contenter d'écouter ce que le guide vous raconte. Il peut tout aussi bien vous lire les cours de la bourse, le "Voyage au bout de la nuit" de Céline que des nouvelles de Tchékhov. Vous savez que, de toute façon, vous ne perdez pas grand chose au spectacle.
 
Heureusement, avant d'arriver à la T.A, je passe par le boulevard Marbeuf, la rue de Lorient et le Mail François Mitterrand. Des endroits un peu plus riches en images.
 
Il y a par exemple, après le passage à niveau du boulevard Marbeuf, le grand mur d'une ancienne usine devenue terrain vague. On y voit régulièrement des affiches pour 3615..., des tags à n'en plus finir et, aujourd'hui 27 février, une affiche assez chouette pour le cirque Médrano. Un dromadaire coiffé d'une chéchia tire nonchalamment sur un long fume-cigarette. Peut-être fume-t-il une Camel ?
 

 Plus loin, rue de Lorient, le panneau dans la vitrine de l'Institut d'hygiène capillaire et corporelle nous dit "Le printemps est là, je m'occupe de moi".

 L'avenue du Mail, devenue "mail François Mitterrand". A "Point mariage", le slogan est "Le rêve sous toutes les coutures". A vrai dire, ce pays de rêve, tout ce qu'il y a sous les coutures de la robe de la mariée, il n'y a plus guère que le marié qui pourra le parcourir, s'y endormir, s'y rafraîchir. Pour les autres, après le grand soir, c'est "circulez, y a rien à voir. Propriété privée, défense d'entrer". Le printemps est là, occupez-vous de vous !

 Un peu plus loin, à côté du bistrot "L'Aiglon", il y a l'enseigne d'une boucherie : un cochon et une vache qui rient. Ils ont de quoi : entre l'épidémie de vache folle et la listeria dans les rillettes, les clients auraient plutôt tendance à bouder la bidoche ces temps-ci. Ca leur fait toujours un sursis, aux cochons et aux vaches. Et de fait, dans Rennes en ce moment on voit plein d'autocollants publicitaires en faveur du végétarisme.
 
 J'aime la maison du n° 91 sur le Mail. Elle est datée 1912 et l'escalier d'entrée se trouve derrière deux arcades mignonnes. Mais la façade est si noircie qu'on n'a bientôt plus qu'une seule envie : détourner le regard et ses pas vers ailleurs. 
 
 Même scénario de l'autre côté devant la maison "tchèque" du n° 56. Une espèce de façade baroque masque, pour un petit temps encore, une maison murée sans doute promise à une démolition proche. Un ancien cinéma à côté du "Café des Chèques" ? Avec des sièges en bois et un écran tout blanc ? Avec des chèques en blanc ou bien des chèques en bois ? 
 
 On retraverse le mail en laissant de côté le "bistrot Marc Angelle" et le PMU "Le Chantilly" pour aller admirer, sous les arcades, un tableau fort peu ragoûtant à vrai dire, une énumération un peu surréaliste au premier abord :
- Culotte de cheval
- Culotte de zouave
- Botte veineuse et lymphatique
- Botte capillaire
- Préménopause
- Ménopause
 Nous sommes chez Pro'Gram 18, diététique médicale. Et il s'agit d'une classification des obésités (gynoïdes, type poire selon P. Bjorntorp et cellulites).
 Heureusement, chez Pro'Gram 18 on a trouvé l'élixir miracle (du Dr Doxey) : une boisson cacao caramel... qui ne m'a pas inspiré plus que ça. De toute façon, moi, en matière de culotte, je ne porte que des culottes de golf !
 
 
  
On longe encore une palissade et des chantiers de démolition pour se retrouver place de Bretagne. Après la "Taverne de la Marine" on cueille les seules fleurs colorées de ce dimanche gris sur la façade de la pharmacie voisine de l'Atrio. 
 

Faut-il épiloguer longtemps sur les plaques du n° 2 du Bd de la T.A. ?
Au 1er étage, cabinet d'avocats
Au 2e étage, cabinet de dermatologues
Au 3e étage, cabinet d'avocats
Un sandwich !
  
On lèvera le nez au n° 6 pour admirer deux jolis mascarons endormis au-dessus de la SDR  : Société de Développement Régional de Bretagne. 
  
Il y a aussi plus loin un joli n° 6 blanc au-dessus d'une grille en fer forgé noir. Et quand vient le printemps, les arbres du boulevard doivent se refléter joliment dans la façade en verre de Natexis "banques populaires, au n° 7 sur le trottoir d'en face. 
  
On ne sait pas trop que faire non plus de l'autocollant "Borealis 8-8-98 Montpellier France" qui représente un pingouin sur une banquise en fleurs. Cela fait deux ans et demi qu'il est collé sur cette porte de garage d'un boulevard de Rennes. Sans doute pour que l'on rêve, ici, en février, de Montpellier au grand soleil, où des congressistes encravatés, dans l'air conditionné du Palais des congrès évoquent l'Arctique, ou l'Antarctique, des endroits où l'on ne voit que du blanc. 
  
On passe devant le "Serment de vigne" - un endroit sarmant ! - on traverse et on laisse de côté le sphinx mystérieux et l'oiseau bleu qui logent sur une façade franchement très réussie, en maçonnerie blanche, au milieu de la rue Thiers. Dommage que le peintre, appelé sur un autre chantier, n'ait pas eu le temps de terminer les lettres de l'enseigne ! 
  
Et puis on s'enfonce dans le rien : deux murs de miroirs de chaque côté du boulevard qui se renvoient leur propre image à l'infini. Le crédit mutuel, la Cité judiciaire, les immeubles du Colombier... Devant ces monuments d'architecture moderne, l'homme se sent tout petit et les adolescents, du coup, s'adonnent à des jeux d'enfants : skateboards, rollers ou même, pour les derniers des francophones, planches et patins à roulettes.  
  
 
  
On redevient humain quand même en apercevant la silhouette de Théophile Malo Corret de La Tour d'Auvergne, homme de guerre né à Carhaix en 1743 et mort à Oberhausen en 1800. Il étudia les langues celtiques avec son ami l'archéologue Le Brigant. Du coup on a droit à sa biographie gravée dans la céramique et exposée comme dans un musée en plein air. Où est passée l'Auvergne dans l'histoire ? On n'en sait rien. La représentation, sans visage, "sans yeux" de Théophile Malo Corret de la Tour d'Auvergne se trouve, qui plus est, rue du Papier timbré, révolte rennaise de 1675. 
 
On continue son chemin sans rien relever d'autre. Ce qui m'énerve, chez Isaure, c'est qu'elle a toujours raison. Boulevard de la T.A., il n'y a vraiment rien à voir.
  
Sauf que... Dernière maison, à gauche du boulevard, il y a le Marrakech. La mendiante à l'entrée ressemble terriblement à ma patronne. A moins qu'il ne s'agisse, par un de ces décalages poético-géographiques dont Rennes a le secret, de la petite marchande d'allumettes d'Andersen ? 
  
Mais surtout, le long de la façade de ce restaurant oriental court la caravane de chameaux, de dromadaires et de touaregs si chère à l'oncle Camille Cinq-Sens. Elle se rend au Fort La Latte, représenté ici perdu dans les sables du désert, pour une de ces créations de "proverbes touaregs made in Breizh" dont l'oncle d'Isaure a le secret. Cette fresque murale est signée "La gazelle". On peut adresser à l'artiste ses plus vives félicitations en lui téléphonant au 02 40 47 54 47. 
 
Après, nous arrivons au carrefour Georges Nitsch, architecte et érudit rennais. On y trouve le siège de "Pays de Bretagne magazine". C'est vraiment un parcours du "rien" : avec les lettres de "Nitsch", on peut écrire "nichts" qui signifie "rien" en allemand. Et avec tout ce que savait Georges Nitsch, on n'est pas plus avancé : a-t-il laissé un guide de Rennes, une somme philosophique et surtout livresque de son érudition ? Et moi qui suis ici en repérages pour Isaure, saurai-je laisser trace de tout ce que j'apprends, de tout ce que je sais désormais de la ville? Qui sait si cette Agence de Flânerie Amoureuse de Rennes pour laquelle nous nous dépensons tant ne va pas un jour disparaître, mourir de sa belle mort et n'être plus qu'un beau souvenir pour ses clients, pour ses agents et, pour les autres, quelque chose d'aussi peu évocateur que ce carrefour Georges Nitsch ?
  

 
 
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