«Sois sérieux pépé, ce n’est plus de ton âge
». Le plus jeune, 8 ans, se
sent un peu étranger
à la conversation des grands. Il s’ennuie terriblement et de ce
fait, cherche la complicité des 2 adultes qui sont à l’avant
; et le petit de tenter une discussion avec son pépé
:
- Dis, Pépé,
à ton époque, il y avait encore des Gaulois ?
La question a « frappé » pépé, attentionné à la route et à la circulation. Il ne s’occupe pas des gendarmes depuis qu’il a pris de l’âge, il les respecte ; il a même beaucoup de copains parmi eux. "C’est fou ce qu’on change en vieillissant !"
Beaucoup de copains, mais jamais il n’irait leur demander de faire « sauter » une amende ou quelque chose comme ça. Pépé a des principes ! Et puis, que pourraient-ils lui vouloir ou lui demander, ces agents de la force publique ? Pépé n’a rien à se reprocher. Quelquefois il dépasse peut-être la vitesse réglementaire. C’est vrai que depuis quelque temps il a enfin acquis une voiture neuve et moderne, il faut bien çà pour caser confortablement les « vieilles carcasses » qui y prennent place.
Alors s’il est arrêté, quel problème ? Lui demanderont-ils
son permis, à lui ? Non, ils contrôlent les jeunes. Mais lui
?
« ... A ton époque, encore des Gaulois ? » Mais, pour qui me prend-t-il ? je suis retraité mais quand même ! Les grands n’ont pas fait attention à la question, sinon ils auraient réagi… du moins je l’espère.
Ne recevant pas de réponse, Alexis, (c’est son nom), reprend :
- Dis Pépé, raconte
nous l’histoire des têtes carrées.
Pépé, autant pour avoir la paix et faire taire les enfants, peut être aussi un peu ému et fier que cette histoire racontée à une occasion quelconque ait été retenue en partie par ses petits-enfants, Pépé se met donc à égrener de vieux souvenirs.
C’était juste avant la 2ème guerre mondiale, Pépé qui n’avait pas encore 7 ans était chez ses grands-parents maternels dans une commune rurale. La crainte de la guerre faisait parler les adultes et le grand-père de Pépé qui avait connu la précédente, celle de 14/18, et entendu aussi parler tout jeune de celle de 1870, était assez méfiant et craintif vis à vis des Allemands. Il les voyait déjà envahir notre pays une fois encore - c’est le souvenir et l’impression qu’en a pépé aujourd’hui - et peut-être pour montrer son mépris, si ce n’est plus, il les appelait « les têtes carrées ». Il disait à son petit-fils : « Tu verras quand les têtes carrées vont venir ! »
Pépé se souvient alors de la crainte qu’il avait de voir
des espèces de « monstres avec une tête toute carrée
». Pourquoi avait-il imaginé des personnages dangereux ? Déjà
leur nom, « Allemands » à lui seul paraissait horrible
; parce qu’inconnu. Eh oui, on a peur de ce que l’on ignore.
La frayeur de Pépé était grande le soir, lorsqu’il
rentrait tout seul de l’école les soirs d’hiver, la maison des grands-parents
était à environ 2 kilomètres du centre bourg, dans
un petit village de 4 ou 5 maisons dont une ferme autour de ce que l‘on
appelait le château. Pour y arriver il fallait passer en rase campagne,
pas d’éclairage bien sûr. Premier obstacle, une double voie
de chemin de fer à traverser à un passage à niveau.
Aussitôt passé, à gauche, il y avait un ancien
manoir derrière des murs à moitié démolis et
envahis par la végétation sauvage. Au pied de ce mur, un
immense trou à demi entouré d’arbres, où croupissait
une eau noirâtre.
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Pépé délire.