CHAPITRE XVIII : DES PARCOURS A N'EN PLUS FINIR
8, Patatourisme boucle 2
 
            La boucle 1 nous a amenés à l'angle du quai Lamartine et de la rue de Rohan
  .
         On tourne dans la rue de Rohan. Arrêt chez Léa Kantch, sur le trottoir de gauche. Sur le bas de la porte vitrée, il y a un texte extraordinaire, disposé à hauteur des yeux des bassets, un texte que personne n'a jamais pris le temps de lire, car il faut s'accroupir sur le trottoir pour le déchiffrer, un texte qu'il faut décrypter car il ne contient aucune ponctuation ni aucun espace entre les mots, un texte complètement ubuesque :
Serarticuletravaillestylexceptionctue 
onnerevisexemplenitudesiretourd 
ensilenceluiretissantesquissentir 
Bellegesarge 
irestionJC.Trigonavaille 
nsuellesperaisonnerevisexemple 
invéritérininustensilenceluiretiss 
chetrangemirabellegereterrifiant 

A votre avis, est-ce que maraboutdeficelledechevaldecourse a pied ?

 
        Il est écrit Kanasta quelque part et un golfeur prend son élan sur la poignée de la porte.

        Le temps d'écrire tout ça dans mon cahier, quelques familles sont passées et aussi quelques unes de ces "dames du dimanche après-midi", de celles dont le parfum est si prégnant que Rennes en semble transformée. Elles ont dû se demander ce que je trafiquais au ras du sol. Heureusement, pendant tout ce temps, aucun basset n'est venu m'arroser.
 
      On continue tout droit et, insensiblement, on est rue de l'Horloge. On trouve là aussi quelques spirales, notamment sur la porte arrière de la mairie, celle par laquelle les employés s'échappent lorsqu'il y a une manifestation sur la place ; les élus quant à eux empruntent le souterrain qui mène à Pontchailllou : c'est par ce même souterrain que le directeur du conseil d'administration de l'hôpital s'enfuit et se réfugie à la mairie lorsqu'il y a une manif d'infirmières ou de sages-femmes au C.H.R. Bienvenue à Rennes en Gruyère !
 
Plus loin dans la rue de l'Horloge, ne manquez pas d'admirer la façade de la galerie Massicot. Il y a peu de magasins à Rennes qui arborent un si beau mariage de rouge et de jaune avec des caractères aussi heureux pour nous transporter loin dans le temps, au XIXe siècle finissant que nous rappellent également bien souvent les gravures anciennes qui sont exposées dans la vitrine.
 
      La poignée du magasin "L'homme et la mer" est en forme d'ancre marine. Sans doute en souvenir du bateau sur lequel le père Ubu et la mère Ubu quittent la Pologne à la fin d'Ubu roi pour revenir en leur château de Mondragon.
 
      A l'angle de la rue de "Chateaurenault, gouverneur de Bretagne 1678-1737" et de la rue de "Toulouse, variété de saucisse allant au cassoulet", une grande spirale fleurie évoque la crosse d'un archevêque. Il s'agit en fait d'un symbole de protection installé là pour favoriser la prospérité des commerces environnants, comme indiqué dans l'acte III, scène 7 d'"Ubu roi" : "Saint-Antoine et tous les saints, protégez-moi, je vous donnerai de la phynance et je brûlerai des cierges pour vous."
 
        On s'engage à droite dans la rue "La Fayette, fabriquant de galeries marchandes" et on aperçoit bientôt, dans la rue d'Estrées, les jolies spirales grises de l'"Heure locale". On poursuit tout droit, rue Nationale et on en remarque d'autres, aussi jolies, au-dessus de la bouilloire de Mrs Dalloway. On pousse jusqu'au Parlement dont on admirera les heurtoirs, les mascarons et les lions sur la façade, sans oublier les belles statues dorées qui jouent du buccin sur le toit sans que cela ne dérange nos "oneilles". 
 
        Chez Ti Breizh, ce sera bien le diable, quand vous y passerez, si vous ne voyez pas dans la vitrine un ou plusieurs triskells parmi les "graines de menhir en granit de Bretagne garanties d'origine", sur les faïences de Quimper et les tabliers décorés représentant des bigoudènes en coiffe qui ramènent du café du port, en le poussant dans une brouette, leur Jules alcoolisé jusqu'au dernier degré. 
        Là on tourne et on descend la place du Parlement vers la rue Saint-Georges avec un arrêt possible chez Mr O'Connell's, pub irlandais.
 
        A l'entrée de la rue Saint-Georges, en dessous des spirales du magasin d'antiquités, Edmond Hervé et le Conseil municipal de Rennes ont apposé le 9 novembre 1978 une plaque célébrant "la reconquête de la ville par le piéton". Au moment où je suis entré dans cette rue piétonne, il y avait une voiture garée juste derrière et une autre qui s'engageait dans ce qui est une des plus chouettes rues (piétonnes ?) de Rennes ! 

        On tourne tout de suite dans la rue Derval qui mène à la place Saint-Germain. Il y a une belle enseigne de restaurant japonais qui se découpe, lumineuse, sur arrière-plan d'église sombre en ce dimanche ensoleillé. 

        Chez Tatoo Mania, place Saint-Germain, je suis saisi d'une interrogation métaphysique, ou plutôt pataphysique : peut-on se faire tatouer une spirale sur le ventre, histoire d'avoir la même gidouille qu'Ubu ? Quel effet ça fait sur la dame la première fois qu'on déballe sa littérature corporelle, juste avant de passer aux choses sérieuses ? Quelle est la valeur du fou-rire dans l'érotique du tatouage ? "A Isaure pour la vie", ça vous la coupe un peu, non ? Et "pas vu, pas pris" ou "Maman, je t'aime", est-ce que ça refroidit les ardeurs légionnarophiles des chercheuses de surmâle ?

        Vous traversez le quai Chateaubriand et vous empruntez la passerelle Saint-Germain (n'oubliez pas de la rendre à son constructeur !). Au bout de la passerelle, arrêtez-vous. Il y a neuf spirales sur l'immeuble à gauche et six sur celui qui fait l’angle. A droite, et puis tout le long du parcours, après, c'est comme quand on aime : on ne compte plus (à moins que vous ayez décidé de faire le décompte des spirales rennaises en fonction de leur sens de rotation !).
 
      Longez le quai en direction de la place de la République. Repérez les grands mascarons barbus au-dessus de "Mille bougies" et entrez dans le magasin pour y acheter une chandelle verte. 
        Devant le palais du commerce, admirez les deux bécassines qui montrent le joli gâteau qu'elles viennent de fabriquer. Mais comme toutes deux ont un défaut d'élocution, elles nous montrent l'une un bateau, l'autre un château ! Chez Bécassine Gâteau-Château, la phrase "les greluches qui vont guincher avec des gars à gapettes ne doivent pas porter de guenilles" devient "les chreluches qui vont chincher avec des chats à chapettes ne doivent pas porter de chenilles". Chez Bécassine Gâteau-Bateau, la phrase "gouter l'air anglais hors de France" devient "bouter les remblais hors de France". Il vaut mieux entendre ça que la fille du notaire de Saint-Malo, qui, comme le dit la chanson, est sourde comme un pot.

        Traversez le quai au niveau de la rue de Nemours et rendez-vous devant le cinéma Gaumont. Méditez cette information incroyable : le père Ubu est le seul rôle que Gérard Depardieu n'ait pas encore joué au cinéma !
 

 
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