CHAPITRE XVII : LA PLUME ET LE PINCEAU
Texte 113 : Chronique d'un provincial
sur le chemin du Salon du livre à Paris (mars 2002)
     
 

        Je reçois de mon éditeur un courrier qui m'invite à lui demander une entrée gratuite de 2 personnes pour le Salon du Livre à Paris, porte de Versailles. Je l'appelle et j'apprends que les invitations distribuées par le Salon cette année ne sont valables que pour une personne. Pas avare, il m'en envoie une deuxième quelques jours avant l'ouverture.  
 
       Pour consulter le programme et choisir ma journée, je me connecte via internet sur le site officiel du Salon. J'y découvre un avant-programme succint qui présente les points forts sous couvert de généralités peu engageantes. On précise au visiteur qu'il aura tous les détails dans le Magazine Littéraire 

      Pour me procurer la revue, je passe chez le buraliste de mon village, qui ne l'a pas. J'enfourche alors mon vélo et je me rends jusqu'aux quartiers périphériques de la grande ville où j'apprends par les détaillants de presse que les NMPP n'ont pas jugé opportun d'inclure le dit magazine dans le lot de journaux et de revues qu'elles leur distribuent chaque jour. Mais le choix ne manque pas, voyez donc sur ses rayons : Auto-poteau, Bidon-carter, Patrie-foot, Cancan-star, Porno-fluo, Média-fric, Spécule-propre, etc... tous magazines au prix très abordable issus de groupes de presse très diversifiés : Achète, Filipatrie, L'Hagard d'Air, Berlue-scorie, Vive-indigne, re-etc... 

 
      C'est le Printemps des Poètes, qui ont besoin de livres. Tout est gratuit et si peu fréquenté. Entre deux lectures, j'en profite pour me rendre au centre-ville et c'est au pied d'un immeuble de caractère sans doute plus accessible aux camions des NMPP, entre les bornes
escamotables, les digicodes et les caméras de surveillance, que je trouve mon magazine qui l'est moins : 60 F selon ma conversion encore aléatoire de l'Euro. 60 F, c'est justement le prix de mon livre sur lequel je ne toucherai que 7% à partir du 501ème exemplaire vendu.
D'habitude, pour éviter le passage par l'argent, je fais des échanges mais là, c'est impossible : tout se vend, j'achète donc.

        J'ouvre le magazine. Un tout petit supplément m'attend justement au milieu. C'est encore un avant-programme : pas de détails, pas de calendrier précis, pas de liste des éditeurs présents, pas de paroles remuantes d'auteurs. Les Italiens, qui sont à l'honneur cette année, figurent dans le numéro comme un tableau de nouilles avec plein de colle derrière pour bien adhérer à la surface. Tant pis. Je choisis de décoller lundi pour y être mardi car il y a nocturne.

        Le jour dit, je me mets donc en route, plein d'espoir sur toutes les belles rencontres que je vais faire, sur tous les bons ouvrages que je vais découvrir. Pour me rendre au péage de l'autoroute, en direction de Paris, je marche d'abord 10 kilomètres dans la campagne. Soleil,
primevères et jonquilles sur les talus, grand échafaudage autour d'un clocher, rousseurs sauvages dans les champs puis quelques kilomètres dans la 4L d'un paysan rubicond : la belle vie quoi ! Au péage, je monte dans la camionnette d'un marchand ambulant adepte du commerce équitable entre l'Europe aux anciens parapets et l'Afrique (celle d'après Une Saison en Enfer). Comme il se rend à Charleville, il me dépose à Disneyland et me fournit un ticket pour passer le portillon du R.E.R. en direction de Paris. Là, Maria Rilke en poche et Mickey dans le dos, je suis de 5ème zone, exclu par la machine pour défaut d'interurbanité. Afin de résoudre le problème, je me colle aux fesses d'une personne convenable et je passe sans qu'elle ne bronche. Je ne suis pas en pleine contradiction avec moi-meme, je n'ai pas de
profession. « Les gens ont l'habitude (grace aux conventions) de chercher à tout des solutions faciles en choisissant, dans la facilité, ce qui coûte le moins de peine ; or il est clair que nous devons nous en tenir à ce qui est difficile. » (lettre de Rilke à Kappus le 14 Mai 1904).
 
       Je descends à Châtelet et traverse la Seine, des ampoules aux pieds, par le Pont St Michel. Les bouquinistes tricotent, l'Archange attend sa cotte de mailles avant le coup d'épée dans l'eau. J'arrive chez mes hôtes et j'attends sur le palier. L'oeil électronique qui domine le tableau des sonnettes m'a heureusement jugé inoffensif. 

        Je dîne avec mes bienfaiteurs et je me couche après un débat à propos de la surpopulation. Je rêve à de grandes solitudes. 

 
        Le lendemain, rejoint par l'élue de ma deuxième invitation, nous partons faire des photocopies. Ce seront quelques souvenirs pour les éditeurs et tous les gens du livre en cas de rencontres merveilleuses. Une agrafeuse automatique mord sans état d'âme le petit coin des
papiers que nous lui présentons en haut à gauche. Nous prenons le métro qui nous conduit Porte de Versailles. Voici les couleurs, les bannières, les publicités littéraires puis l'homme de haute stature qui déchire irréversiblement nos invitations. Nous ne pourrons pas sortir,
nous sommes pris au piège car nous n'avons pas prévu de casse-croûtes et trop peu d'eau. Après l'entrée, dans une sorte de grand panier, les programmes tant attendus débordent, gratuits cette fois. Plus loin, derrière les marquises des bars, nous découvrons les sandwichs tant convoités à 30 F et au sommet des porte-enseignes, les menus à 140 F.

    Les grandes allées de moquette rouge conduisent tout droit aux palais design des très hauts et très puissants éditeurs. Je me croirais dans les coupe-feux de la foret de La Guerche de Bretagne qui appartient à Berlusconi. Les grandes allées forestières y sont bordées de miradors tous les cinquante mètres et viennent s'échouer dans les portails en dentelles de barbelés. Ici, le rouge est très saignant, pardon : seyant ! D'ailleurs, pour s'asseoir, on a reproduit des trottoirs au pied des parois vierges des stands. Ni affiches, ni écritures sur ces murs mais seulement un brouhaha feutré ou l'on entend parfois le cliquetis très distingué des coupes entrechoquées pendant les petites sauteries conventionnelles des groupes éditoriaux internationaux qui se consolent de cette manière du départ inopiné de la délégation italienne
officielle. J'explose en invectives et m'enrage quand un vigile m'interpelle. Il prétend m'interdire une halte sur un grand espace vide derrière une machine à fric. Tandis qu'il concocte une évacuation musclée par talkie-walkie, je m'affale doucement contre la barrière
taboue dans les bras bienveillants de mon élue. Et nous attendons, sous les mesquineries vocales du garde-chiourme.

    Lorsque nous partons, l'individu, entouré d'une armée de collègues se confond. Il a eu l'oeil. Nous ne préparions ni hold-up, ni attentat. Très condescendant, il nous fait remarquer avec fierté sa bienveillance.

    Enfin, nous atteignons des havres :
 
- Dans le petit théâtre de la SACD, après que Puccinella ait poussé la chansonnette, la République des Auteurs tient son assemblée pendant qu'à Nanterre, un homme formé par son engagement dans l'aide humanitaire et la coopération tire sur le conseil municipal et fait huit morts. 

- Devant le théâtre, les représentants de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon expliquent à un auteur dramatique qu'on lui viendra en aide s'il a déjà eu des aides et que pour postuler aux dites-aides, il doit remplir beaucoup de papiers avec des questions très pertinentes, sans aide. 

- Un éditeur roumain présente ses ouvrages sur un carré de bas tréteaux, comme sur un marché tandis qu'au nom de la désinformation, une revue serbe raccole sur les magouilles de l'Otan autour d'ouvrages à la gloire de Milosevic. 

- Au carré des Pays de la Loire, les Editions du Petit Véhicule mettent le paquet sur Léo Ferré et sur un petit lutrin de table, présentent un ouvrage bucolique sur les chemins de halage.

- Chez , on a une copie conforme du joyeux foutoir de leur librairie, rue des Ecoles, avec pour orienter et répondre à la demande, une personne débordée, comme d'habitude.

- Sur le stand du Centre de Poésie International de Marseille, les Boules de Jean-Luc Parant sont à l'affiche et les rayonnages à demi-vides sont des couchettes pour une bonne centaine de
poètes contemporains. On remarque la collaboration prolifique de Lucien Suel dans les compte-rendus d'ouvrages et on se demande où il trouve le temps de faire tout ça entre le jardinage, la maçonnerie et l'examen poétique de la rotule usée de St Benoit Labre.

- Aux éditions de la Nerthe, Frédéric Stouvenot a mis un costard mais ne s'est pas rasé. ll rend grace au Pythéas de Journès et Georgelin dont le succès mérité lui permet de perpétuer son travail d'éditeur en direction du roman.

- Les éditions Clémence Hiver disposent d'une bibliographie impressionnante de Marina Tsvétaieva.

- Dans le carré d'Auvergne et du Limousin, une caméra se promène au rythme du tango retrouvé par un petit éditeur-écrivain et Jean-Michel Ponty des éditions Adélie se dit imprimeur avant d'être éditeur. Ses livres sont des objets qui accueillent avant tout les démarches de plasticiens avec ou autour de poètes contemporains ou presque (Léon-Paul Fargue...).

- Aux Pays de la Loire, vive le monsieur très calme et souriant des Editions Déléatur. Sa passion pour Jean-Pierre Brisset l'a conduit à reconstituer le texte de la conférence de cet auteur pour l'hotel des Sociétés Savantes en 1913. C'est une recherche étymologique
passionnante basée sur le calembour universel et qui nous convaincrait presque, tant elle fourmille d'exemples et de démonstrations pertinentes, de son évidence. On pourrait alors remettre en question tous les travaux des linguistes chevronnés. La lettre de Louis Dubost,
du Dé Bleu, à un poète en quête d'éditeur, déjà parue dans la minuscule revue Ficelle, est à portée de toutes les bourses (1 Euro 50) même celles des poètes non édités. Elle coûte moins cher qu'un sandwich et constitue un bon codicille contemporain aux Lettres à un jeune poète de Maria Rilke. A noter aussi, toujours chez Deleatur, un recueil de poèmes de Denis Péan, le chanteur angevin de Lo Jo Triban.

        Je retrouve les grands tapis rouges et je suis leurs fleuves jusqu'à la sortie. Au delà, ca n'est pas la mer qui s'ouvre sur Moïse mais les bagnoles qui fument et que l'on voudrait voir englouties comme l'armée du Pharaon. Je ne ferai pas la nocturne, je suis trop content de pouvoir clore ma visite par toutes ces petites rencontres qui m'ont fait oublier le cynisme et le dédain des grands. De l'Italie à l'honneur, que j'ai évitée sur les présentoirs de Gibert Jeune férocement gardés par un cerbère noir sous les grands piliers imitation renaissance, j'emporte un opuscule de 3 cm carrés, édité avec le soutien de l'Imprimerie Nationale et préfacé par Catherine Tasca, notre ministre de la culture. L'ouvrage minuscule recèle des trésors de citations d'auteurs italiens depuis Dante jusqu'à Pasolini en passant par D'Annunzio. Il constituera un pense-bête efficace et discret pour alimenter nos discussions avec les automobilistes qui me ramèneront demain en stop jusqu'à ma grande ville de province. Demain, mercredi, avec un ticket zone 1, je prends le R.E.R jusqu'à Dourdan la Forêt, zone 7 où il n'y a pas de portillon automatique, je traverse la forêt puis le collecteur sous la ligne TGV, je rassure le gendarme alerté qui m'appréhende dans la cour de son édifice martial et je vais tendre le pouce comme un petit livre perdu dans la forêt de l'électronique.

        Berthonsagace

 
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