Je reçois de mon éditeur un courrier qui m'invite à
lui demander une entrée gratuite de 2 personnes pour le Salon du
Livre à Paris, porte de Versailles. Je l'appelle et j'apprends que
les invitations distribuées par le Salon cette année ne sont
valables que pour une personne. Pas avare, il m'en envoie une deuxième
quelques jours avant l'ouverture.
Pour consulter le programme et choisir ma journée, je me connecte
via internet sur le site officiel
du Salon. J'y découvre un avant-programme succint qui présente
les points forts sous couvert de généralités peu engageantes.
On précise au visiteur qu'il aura tous les détails dans le
Magazine Littéraire.
Pour me procurer la revue, je passe chez le buraliste de mon village, qui ne l'a pas. J'enfourche alors mon vélo et je me rends jusqu'aux quartiers périphériques de la grande ville où j'apprends par les détaillants de presse que les NMPP n'ont pas jugé opportun d'inclure le dit magazine dans le lot de journaux et de revues qu'elles leur distribuent chaque jour. Mais le choix ne manque pas, voyez donc sur ses rayons : Auto-poteau, Bidon-carter, Patrie-foot, Cancan-star, Porno-fluo, Média-fric, Spécule-propre, etc... tous magazines au prix très abordable issus de groupes de presse très diversifiés : Achète, Filipatrie, L'Hagard d'Air, Berlue-scorie, Vive-indigne, re-etc... |
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J'ouvre le magazine. Un tout petit supplément m'attend justement au milieu. C'est encore un avant-programme : pas de détails, pas de calendrier précis, pas de liste des éditeurs présents, pas de paroles remuantes d'auteurs. Les Italiens, qui sont à l'honneur cette année, figurent dans le numéro comme un tableau de nouilles avec plein de colle derrière pour bien adhérer à la surface. Tant pis. Je choisis de décoller lundi pour y être mardi car il y a nocturne.
Le jour dit, je me mets donc en route, plein d'espoir sur toutes les belles
rencontres que je vais faire, sur tous les bons ouvrages que je vais découvrir.
Pour me rendre au péage de l'autoroute, en direction de Paris, je
marche d'abord 10 kilomètres dans la campagne. Soleil,
primevères et jonquilles
sur les talus, grand échafaudage autour d'un clocher, rousseurs
sauvages dans les champs puis quelques kilomètres dans la 4L d'un
paysan rubicond : la belle vie quoi ! Au péage, je monte dans la
camionnette d'un marchand ambulant adepte du commerce équitable
entre l'Europe aux anciens parapets et l'Afrique (celle d'après
Une Saison en Enfer). Comme il se rend à Charleville, il me dépose
à Disneyland et me fournit un ticket pour passer le portillon du
R.E.R. en direction de Paris. Là, Maria Rilke en poche et Mickey
dans le dos, je suis de 5ème zone, exclu par la machine pour défaut
d'interurbanité. Afin de résoudre le problème, je
me colle aux fesses d'une personne convenable et je passe sans qu'elle
ne bronche. Je ne suis pas en pleine contradiction avec moi-meme, je n'ai
pas de
profession. « Les gens
ont l'habitude (grace aux conventions) de chercher à tout des solutions
faciles en choisissant, dans la facilité, ce qui coûte le
moins de peine ; or il est clair que nous devons nous en tenir à
ce qui est difficile. » (lettre de Rilke à Kappus le 14 Mai
1904).
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Je descends à Châtelet et traverse la Seine, des ampoules
aux pieds, par le Pont St
Michel. Les bouquinistes tricotent, l'Archange attend sa cotte de mailles
avant le coup d'épée dans l'eau. J'arrive chez mes hôtes
et j'attends sur le palier. L'oeil électronique qui domine le tableau
des sonnettes m'a heureusement jugé inoffensif.
Je dîne avec mes bienfaiteurs et je me couche après un débat à propos de la surpopulation. Je rêve à de grandes solitudes. |
Les grandes
allées de moquette rouge conduisent tout droit aux palais design
des très hauts et très puissants éditeurs. Je me croirais
dans les coupe-feux de la foret de La Guerche de Bretagne qui appartient
à Berlusconi. Les grandes allées forestières y sont
bordées de miradors tous les cinquante mètres et viennent
s'échouer dans les portails en dentelles de barbelés. Ici,
le rouge est très saignant, pardon : seyant ! D'ailleurs, pour s'asseoir,
on a reproduit des trottoirs au pied des parois vierges des stands. Ni
affiches, ni écritures sur ces murs mais seulement un brouhaha feutré
ou l'on entend parfois le cliquetis très distingué des coupes
entrechoquées pendant les petites sauteries conventionnelles des
groupes éditoriaux internationaux qui se consolent de cette manière
du départ inopiné de la délégation italienne
officielle. J'explose en invectives
et m'enrage quand un vigile m'interpelle. Il prétend m'interdire
une halte sur un grand espace vide derrière une machine à
fric. Tandis qu'il concocte une évacuation musclée par talkie-walkie,
je m'affale doucement contre la barrière
taboue dans les bras bienveillants
de mon élue. Et nous attendons, sous les mesquineries vocales du
garde-chiourme.
Lorsque nous partons, l'individu, entouré d'une armée de collègues se confond. Il a eu l'oeil. Nous ne préparions ni hold-up, ni attentat. Très condescendant, il nous fait remarquer avec fierté sa bienveillance.
Enfin, nous
atteignons des havres :
- Dans le petit théâtre
de la SACD, après que Puccinella ait poussé la chansonnette,
la République des Auteurs tient son assemblée pendant qu'à
Nanterre, un homme formé par son engagement dans l'aide humanitaire
et la coopération tire sur le conseil municipal et fait huit morts.
- Devant le théâtre, les représentants de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon expliquent à un auteur dramatique qu'on lui viendra en aide s'il a déjà eu des aides et que pour postuler aux dites-aides, il doit remplir beaucoup de papiers avec des questions très pertinentes, sans aide. - Un éditeur roumain présente ses ouvrages sur un carré de bas tréteaux, comme sur un marché tandis qu'au nom de la désinformation, une revue serbe raccole sur les magouilles de l'Otan autour d'ouvrages à la gloire de Milosevic. |
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- Chez , on a une copie conforme du joyeux foutoir de leur librairie, rue des Ecoles, avec pour orienter et répondre à la demande, une personne débordée, comme d'habitude.
- Sur le stand du Centre de
Poésie International de Marseille, les Boules de Jean-Luc
Parant sont à l'affiche et les rayonnages à demi-vides
sont des couchettes pour une bonne centaine de
poètes contemporains.
On remarque la collaboration prolifique de Lucien
Suel dans les compte-rendus d'ouvrages et on se demande où il
trouve le temps de faire tout ça entre le jardinage, la maçonnerie
et l'examen poétique de la rotule usée de St Benoit Labre.
- Aux éditions de la Nerthe, Frédéric Stouvenot a mis un costard mais ne s'est pas rasé. ll rend grace au Pythéas de Journès et Georgelin dont le succès mérité lui permet de perpétuer son travail d'éditeur en direction du roman.
- Les éditions Clémence Hiver disposent d'une bibliographie impressionnante de Marina Tsvétaieva.
- Dans le carré d'Auvergne et du Limousin, une caméra se promène au rythme du tango retrouvé par un petit éditeur-écrivain et Jean-Michel Ponty des éditions Adélie se dit imprimeur avant d'être éditeur. Ses livres sont des objets qui accueillent avant tout les démarches de plasticiens avec ou autour de poètes contemporains ou presque (Léon-Paul Fargue...).
- Aux Pays de la Loire, vive
le monsieur très calme et souriant des Editions Déléatur.
Sa passion pour Jean-Pierre
Brisset l'a conduit à reconstituer le texte de la conférence
de cet auteur pour l'hotel des Sociétés Savantes en 1913.
C'est une recherche étymologique
passionnante basée sur
le calembour universel et qui nous convaincrait presque, tant elle fourmille
d'exemples et de démonstrations pertinentes, de son évidence.
On pourrait alors remettre en question tous les travaux des linguistes
chevronnés. La lettre de Louis Dubost,
du Dé Bleu, à
un poète en quête d'éditeur, déjà parue
dans la minuscule revue Ficelle, est à portée de toutes les
bourses (1 Euro 50) même celles des poètes non édités.
Elle coûte moins cher qu'un sandwich et constitue un bon codicille
contemporain aux Lettres à un jeune poète de Maria Rilke.
A noter aussi, toujours chez Deleatur, un recueil de poèmes de Denis
Péan, le chanteur angevin de Lo Jo Triban.
Je retrouve les grands tapis rouges et je suis leurs fleuves jusqu'à la sortie. Au delà, ca n'est pas la mer qui s'ouvre sur Moïse mais les bagnoles qui fument et que l'on voudrait voir englouties comme l'armée du Pharaon. Je ne ferai pas la nocturne, je suis trop content de pouvoir clore ma visite par toutes ces petites rencontres qui m'ont fait oublier le cynisme et le dédain des grands. De l'Italie à l'honneur, que j'ai évitée sur les présentoirs de Gibert Jeune férocement gardés par un cerbère noir sous les grands piliers imitation renaissance, j'emporte un opuscule de 3 cm carrés, édité avec le soutien de l'Imprimerie Nationale et préfacé par Catherine Tasca, notre ministre de la culture. L'ouvrage minuscule recèle des trésors de citations d'auteurs italiens depuis Dante jusqu'à Pasolini en passant par D'Annunzio. Il constituera un pense-bête efficace et discret pour alimenter nos discussions avec les automobilistes qui me ramèneront demain en stop jusqu'à ma grande ville de province. Demain, mercredi, avec un ticket zone 1, je prends le R.E.R jusqu'à Dourdan la Forêt, zone 7 où il n'y a pas de portillon automatique, je traverse la forêt puis le collecteur sous la ligne TGV, je rassure le gendarme alerté qui m'appréhende dans la cour de son édifice martial et je vais tendre le pouce comme un petit livre perdu dans la forêt de l'électronique.
Berthonsagace
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