CHAPITRE XVII : LA PLUME ET LE PINCEAU
1, LES DEMANGEAISONS DE L'ARVOR

                        Cher Monsieur

       J'ignore comment votre Isaure s'y prenait pour inventer tous ces délires ! J'ignore beaucoup de choses à vrai dire et je sais moins que tout déjà ce que c'est qu'un délire. Mais bon, ses films imaginaires sur son "parcours du cinéma", moi ça me donne des démangeaisons quand j'y repense ! Cette visite guidée dans Rennes, de boutique de cartes postales en enseignes de club vidéo, et ce final les yeux bandés le long du mur interminable qui fait face à l'Hôtel Dieu, cela reniflait la fumisterie à quinze pas !

        C'est ma femme qui m'avait traîné là. Une agence de flânerie amoureuse ! A Rennes ! On aurait mieux fait d'aller à Venise, mais c'est encore plus cher et c'est peut-être tout aussi attrape-cons. Ma femme dit que Jean Cocteau, un poète, paraît-il, a déclaré ceci : "A Venise, les lions volent et les pigeons marchent".

        Je me souviens surtout, bizarrement, du parcours les yeux bandés. Elle racontait des films connus en les réinventant de A jusqu'à Z.

        "Gouttes d'eau sur pierre brûlante" était devenu ainsi une longue lamentation sur l'incendie du Parlement de Rennes. Une affabulation du style :
- Et si c'était un acte criminel dont le but inavoué aurait été de faire disparaître les dossiers compromettants du juge Van Kelkechose qui se trouvaient là à l'époque ? Bizarre, non, cette histoire de manif en centre ville, de concierge endormi, de fusée mal éteinte qui reprend vie après coup ? Et pourquoi n'y avait-il que cinq seaux et trois haches à l'Hôtel de ville ce jour là pour éteindre le feu ?
- Mais ma petite dame, lui avais-je dit, vous mélangez tout ! Les cinq seaux et les trois haches c'était lors du grand incendie de 1720 ! Les ministres dont vous parlez n'étaient pas encore
nés !

        Le second film qu'elle racontait était "Le bonheur est dans le pré botté". C'était l'histoire de Marie-Adèle H., grand reporter à Ouest-Eclair, et de son enquête sur un mystérieux docteur Krapov, l'inventeur d'une machine à fabriquer des petits bonheurs. Ca c'était plus sympa, ça avait un côté "Tintin au pays de Marius et Olive" qui me plaisait beaucoup.

        Pour "Danse avec les loups" elle nous servait tout un laïus sur le "parcours des animaux". L'histoire d'un soi-disant Noë qui parcourait la nuit les rues de la ville de Rennes et choisissait des couples modèles pour préparer un long voyage dans un bateau. Danse avec les loups de mer, en quelque sorte ! Quelle foutaise !
 
       Et puis j'avais trouvé stupide qu'elle nous donne rendez-vous, pour le début de ce parcours des "Lumières de la ville", à la M.J.C. La Paillette. Bon, d'accord, le personnage avec sa canne, son chapeau melon, son pantalon en accordéon et ses pieds écartés, je sais bien qu'il a, vaguement, quelque chose à voir avec le cinoche mais enfin... Pour venir retrouver sa voiture garée sur le mail, depuis la rue d'Antrain, ça faisait quand même un sacré bout de trotte. Des sacrés charlots, les gens de cette AFAR, si vous voulez mon avis.
 
        Mon épouse a adoré ça mais moi je préfère quand même les matches de foot à la télé. Au moins on ne risque pas d'attraper des ampoules aux pieds.

        Cordialement, comme on dit maintenant sur Internet.
 

                                               Robert J. Hyde
 

 
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