LES PETITES MAINS DE L'ATELIER
3. La tentation du virtuel
 
 
       Un appartement luxueux. Au-dessus du micro-ordinateur dernier cri un grand poster représentant le cargo Karaboudjan. L'homme est seul, debout dans le grand salon aux murs blancs, à la baie vitrée lumineuse. Il semble hésiter, tourne en rond autour de la petite table basse sur laquelle est posé un coussin de velours violet. A côté du coussin, dans une coupe en cristal de Bohême, des abricots dorés, mordorés, charnus et voluptueux à souhait 

- Mon dieu, songe-t-il, si j'y vais maintenant, c'est peut-être un peu tard. Elle ne va pas tarder à rentrer de son jogging. Et si elle me surprend sur le site… 

         Il fait trois fois le tour de la table basse, songeur, très digne au demeurant. Il porte un pull à col roulé bleu franc et un veston de la même teinte par-dessus. Il a un look très "Points de vue et images du monde".

- Ce n'est pas le tout d'y accéder. Par Altavista je trouverai forcément l'adresse, même si je dois me farcir l'"Aubade à Lydie en do" de Bobi Lapointe. Mais c'est pour sortir. Parfois c'est tellement long d'iconiser ou bien d'attendre l'affichage des images de grande taille. Bon tant pis, je prends le risque, j'y vais.

        Il s'installe alors rapidement devant l'ordinateur, l'allume, attend le chargement des différents modules et une fois que monsieur Norton, l'antivirus, a fait son petit tour du propriétaire, il clique sur le phare de Communicator, va chercher Altavista dans ses signets, tape "aubade" et sélectionne "french".

        Et bien entendu, quelques secondes après, lorsqu'il a affiché la leçon n° 30 (lui tendre une embuscade), Sonia fait dans la pièce une entrée fracassante.

- Jean-Eudes ! Jean-Eudes ! Balthazar est blessé. Il s'est planté une épine dans la patte. Donne-moi les clés de la voiture, je l'emmène chez le vétérinaire !"
- Mais, Sonia chérie, peut-être qu'avec une pince à épiler ou un coupe-ongles on arriverait à l'enlever cette épine ?
- Un coupe-ongles ! N'importe quoi, mon ami. Et puis je ne vais quand même pas charcuter notre lévrier afghan sur la moquette de ce séjour, regarde la pauvre bête, elle ne peut même plus avancer. File moi les clés, te dis-je. Allez viens Balthazar !
 
       Elle disparaît aussi subrepticement qu'elle est venue. Tout retombe dans un grand silence d'après la tempête. Pendant tout le temps qu'elle a été là, il est resté debout devant l'écran, cachant de son grand corps élégant le cours de séduction en trente trois leçons délivrées sans façons aux volcans tout comme aux glaçons. 

        Il pousse un grand soupir, se détend, va prendre un abricot dans la coupe. Il se remet devant l'ordinateur, regarde la peau dans la dentelle, puis, délicieusement, savourant lentement toute la suavité du plaisir, il mord dans la chair du fruit… défendu. 

 

 
- Tu crois qu'il ne se doute de rien ?" demande le vétérinaire à Sonia.
- Lui ? Se douter de quelque chose ? On voit bien que tu ne le connais pas ! Cela doit faire trois fois que je lui ressers le coup de l'épine dans la patte du chien ! Ce type là, tu ne peux pas savoir à quel point il manque de sensualité !

Ecrit par Jean-Paul le 9-11-1999. La consigne était de relier deux photos, celle d'un élégant jeune homme et celle d'un abricot posé sur un coussin de velours (Quelle relation entre ce prince moderne et ce velouté de fruit divinement présenté ?) et d'introduire dans l'histoire le plus grand nombre possible d'éléments suivants : un coupe-ongles, un vétérinaire, des tergiversations, un sentiment de jalousie, un cargo, Internet.

 
Retour au menu de 
Rennes en délires
Retour au menu des petites mains de l'atelier
Précédent
Suivant