Chapitre XIII : PATRON, C'EST MA TOURNEE !
7. Le Maigret
 
 
Florent Fouillemerde
Agence Fiat Panda
4, rue des Petits-Champs
35000 RENNES

                                             M. Ferdinand FLURE
                                             Agence Dupondet et Dupontet
                                             120, rue de la Gare
                                             65125 LES HAUTS DU TOURMALET

                            Rennes, le 20 juin 1999

              Mon cher Ferdinand

 
        Il y a même à Rennes un café qui s'appelle le Maigret. On aurait pu l'appeler "Chez Jules", ça aurait fait plus populaire, mais non. Le patron ne s'appelle pas Jules de toute façon.
  
         On ne sert pas de bière blanche au Maigret mais le patron est si sympathique, l'ambiance est si claire, si calme en ce soir de juin que son demi d'Amstel pression en prend une saveur bien particulière. C'est la bière des presque vacances. Le velum claque au vent et les clients devisent gaiement dans le café, sans se soucier de rentrer vite à la maison pour regarder le match de foot ou pour préparer la popote.
 
         Le patron est un calme. C'est un moderne, aussi. Il ne sait rien des primitifs flamands, il n'a jamais entendu parler d'Isaure Van Chassériau mais... Mais si vous le tannez un peu, vous découvrirez qu'il a dans son bistrot d'insoupçonnés trésors. Non, il ne s'agit pas des bouteilles de grands crus du Bordelais qui sont en exposition dans la salle du café. C'est quelque chose à quoi on ne s'attend pas  vraiment. Ce sont des manuscrits de Georges Simenon. Le patron est un passionné de littérature policière. Il a toutes les vidéocassettes des "Maigret" avec Jean Richard qu'il préfère à la série actuelle avec Bruno Cremer dans le rôle principal et un esprit de reconstitution d'époque dans les décors.

         Surtout, lui, ce qu'il adore, ce sont les romans écrits par Simenon dans les années 30, les plus touffus, les plus mystérieux, ceux où le passé des personnages leur revient à la figure et fait éclater l'univers tranquille de la vie de tous les jours qu'ils s'étaient construit.
 
         A cette époque là, Simenon habitait une péniche avec ses deux femmes et son chien. Il sillonnait les canaux de France, de Belgique et de Hollande. Il était même passé par le canal d'Ille et Rance et s'était arrêté à Rennes. Il y avait fait escale, juste devant le "bon accueil", et comme c'était à une période où il était fauché, il avait payé ses provisions de bouche en laissant au tenancier du café-épicerie des éditions originales de ses premiers livres et des bouts de manuscrits de ses romans à venir. 
 
        Le patron du Maigret en a retrouvé cinq et les a achetés l'autre jour.

- A l'hôtel des ventes ? lui ai-je demandé. En bas de la place des Lices ?
- Non, sur l'autre rive du canal, à la braderie Saint-Martin.
- Et vous les avez payés cher ?
- Assez, oui.

        Le patron du Maigret est sympa. Quand je lui ai dit que j'étais détective privé, il a tenu à m'offrir des photocopies de ses trésors. Il en offre d'ailleurs ainsi à tous ses bons clients.

        Je te les envoie, Ferdinand. Je sais que tu aimes bien Simenon toi aussi. Mais je me demande si le patron du Maigret ne s'est pas fait arnaquer quelque part...

        Amitiés à madame Lapsi.
 

P.S.     En face du Maigret, de l'autre côté de la rue, il y a le commissariat central de police de Rennes. Un bâtiment de style néo-stalinien. Personne ne s'aviserait de déployer sur son fronton une banderole demandant "Et si on se parlait ?". En tout cas, on imagine mal, à l'intérieur, un commissaire un peu bourru qui lancerait à son adjoint :
- Janvier ! Téléphone au "Maigret" ! Demande qu'on fasse monter de la bière et des
sandwiches !"

        Mais je me trompe peut-être !
 
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