CHAPITRE X : PETITS PLAISIRS RENNAIS
Texte 104 : Le lieu du bonheur

 
 
        J'ai écrit un jour à mon père, sur un livre que j'avais beaucoup aimé et que je lui offrais en cadeau, que la meilleure chose qu'il ait faite pour moi, lorsque j'étais enfant, c'est de m'inscrire à la Bibliothèque municipale.  

        Pour rétablir l'exacte vérité, c'était d'ailleurs ma mère et non mon père, et je crois qu'il fallait avoir six ans pour accéder à ce lieu magique et mystérieux.  

        C'était rue de la Borderie et pour s'y rendre il n'y avait que deux coins de rue à faire. Je pouvais donc m'y rendre seule. On pouvait, si on le voulait, y aller aussi en traversant ce qui, je crois, était un bâtiment universitaire avec un petit jardin où nous allions jouer de rares fois quand il faisait très chaud.

Enseigne de la bibliothèque
municipale de Malestroit
        La magie de la bibliothèque n'existait qu'en été. Sans doute la fée qui enchantait ces lieux dormait-elle lorsqu'il faisait froid ou que les enfants allaient à l'école. On devait être au mois d'août, la ville était déserte, il fallait marcher sur les trottoirs sans mettre les pieds sur les séparations des pavés et on devait avoir toute son après-midi devant soi.

        La magie était faible à l'étage des enfants. A gauche, en arrivant, il y avait la partie réservée aux moins de douze ans. Mais la fée y séjournait peu. Malgré la dame à lunettes et à cheveux gris qui y imposait le silence et régnait sur cet univers, il y avait du bruit et du remue-ménage. On y lisait des livres, pas des bandes dessinées, et c'est là qu'est né mon premier fantasme relatif à ces rangées de livres : les lire tous en commençant par la lettre A et en tournant autour de la pièce jusqu'à la lettre Z. Las, je n'ai jamais pu aller plus loin que la lettre B. Il y avait toujours des livres sortis et, tous les ans, la dame en rajoutait de nouveaux.
 
     Le domaine de la fée était à l'étage au-dessus de la partie réservée aux adultes. Là se trouvait la bibliothèque des jeunes de 12 à 16 ans - on ne disait pas encore des adolescents -. La fée y régnait en maître, dans cet espace un peu froid de chaises à lamelles de plastique vertes et de tables grises. Pas de confort ni de moquette. Les livres étaient autour sur des étagères et, comme c'était le mois d'août, la fenêtre restait ouverte. Il suffisait d'en prendre un ou deux et de s'asseoir, correctement, les pieds sous la table et le livre dessus, et le bonheur commençait. Je quittais pour deux ou trois heures ce monde qui ne me plaisait pas vraiment pour l'univers magique, différent, sans cesse neuf du livre dont je parcourais les pages.
 
        Si d'aventure un autre enfant s'avisait de s'asseoir à ma table, mes yeux de myope n'accommodaient qu'à peine sur cet intrus. je préférais les histoires tristes, bien sûr, surtout quand elles finissaient bien, et les gros livres qui durent longtemps. Quand arrivaient les dernières pages je lisais lentement, déjà mélancolique à l'idée de quitter mes amis et leur univers.

        Et j'émergeais de ce monde, quand approchait l'heure de la fermeture, en lisant à toute vitesse les dernières pages pour connaître la fin de l'histoire. A moins que je n'aie entamé un nouveau volume que je viendrais finir demain, puisque la fée serait encore là pendant toutes les vacances...
 
                                                   La Girafe
 
 
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