Elle habite une grande maison en centre ville mais c'est un bâtiment bien gris, un drôle d'écrin pour un drôle de bijou. Un peu de peinture jaune sur les murs, des moulures blanches sur les fenêtres, le ciel bleu par-dessus le froid de la fin février et on s'imaginerait bien à Venise, Salzburg ou Prague.
 
       Il y a même une rivière qui coule dans le paysage et du Mozart dans mon baladeur quand je vais lui rendre visite.

        J'ai du mal à imaginer que c'est une vieille dame. Et pourtant c'est une vieille dame. Elle ne peut plus bouger, elle ne peut plus faire ses courses elle-même, elle ne peut plus rendre visite à ses amis, ce sont ses amis qui viennent la voir. Ils montent les trois marches du perron, ils poussent la porte vitrée, ils vont s'entretenir avec le gardien et lui glissent la pièce - les fonctionnaires et les factionnaires sont si mal payés ces temps-ci ! -. Puis ils commencent l'ascension du grand escalier qui mène chez elle.

        La décoration de son salon est impressionnante. Le parquet ciré, les tentures de velours rouge, les grands cadres dorés qui entourent ses tableaux sont si imposants que l'on marche à petits pas jusqu'à elle, histoire de ne pas troubler le silence ambiant
 
        Le bonjour est lui aussi silencieux - elle n'entend plus guère -. On sourit, on s'assied à sa droite, on la regarde, très ému. Sa jolie robe rose et ses bijoux dorés rappellent l'ancien temps, les fleurs dans son corsage et puis dans ses cheveux donnent l'impression qu'un peu du Thabor est entré ici avec elle. On a envie d'ouvrir la fenêtre pour entendre le pépiement des oiseaux de la volière mais on est assez loin quand même de Saint-Melaine. Et puis on n'a pas envie qu'elle attrape froid. 
   
        Elle a de bonnes joues rouges de grand-mère bretonne mais ce ne sont pas vraiment les mots auxquels on pense en la contemplant. A-t-elle seulement eu des enfants ?
 
        Les visiteurs défilent dans son salon silencieux mais aucun ne vient vous saluer, personne ne vous demande si vous la connaissez depuis longtemps, si vous faites partie de ses amis de jeunesse, si vous avez assisté à son mariage ou si vous l'avez connue à Tokyo lors de son dernier show.

        Quand je quitte le salon, je suis sûr qu'elle sourit dans mon dos. C'est impossible, bien sûr, mais… Mais peut-on être sûr de quelque chose à Rennes ? La nuit, dans sa maison, il se passe des choses bizarres. Elle même, la vieille dame, qui est depuis si longtemps là, elle n'a que vingt ans.

        Elle s'appelle…

...Isaure Chassériau !
 
 
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