Ces deux là nous épient sans arrêt. Toujours le nez à la fenêtre, à zieuter ce qui se passe dans la rue. On ne peut pas faire un pas dehors de la maison sans qu'on les sente se chuchoter à l'oreille : "Regarde, c'est l'intello du 4 qui retourne au turbin".
Concierge, c'est un métier qui a dû toujours exister. Si ça se trouve, pour entrer dans la grotte de Lascaux, il fallait aussi tirer le cordon et dire son nom à une "madame Michu" de l'époque.
Ces deux là ne ressemblent pourtant pas à Pauline Carton. Ils sont jeunes, tous les deux, peut-être au chômage, allez savoir, avec les traites de la maison pas finies de payer. En tout cas, du matin au soir, ils guettent comme des chefs sioux le moindre de nos mouvements de troupe.
On se demande même parfois s'il leur arrive de manger, de regarder la télé, de dormir...
Mon épouse m'a dit hier soir qu'ils n'existaient pas vraiment. Qu'il
s'agirait d'un mur peint, ce qui expliquerait leur immobilité et
aussi qu'ils se protègent du soleil avec la main au-dessus des sourcils
et cela même les jours de pluie où il fait gris. Je me refuse
à croire pareille élucubration. Cet argument me semble complètement
artificiel. Je suis sûr et certain qu'ils nous épient pour
de vrai.
- Mais enfin, réfléchis
! Leur fenêtre donne plein Ouest. Et l'ombre sur leur visage laisserait
à penser que le soleil est à leur droite, soit... au Nord
!
Même cet argument là n'a pas réussi à me convaincre.
- Mais viens donc voir, idiot
!" m'a-t-elle lancé ce matin.
Elle m'a emmené à la fenêtre. Les deux autres sont déjà à leur poste d'observation. Le soleil est éblouissant aujourd'hui, une grosse boule rouge dans le ciel rose. J'ai porté la main à l'horizontale sur mon front et elle m'a montré du doigt ces deux-là, nos voisins d'en face. Moi j'étais derrière elle...
Et c'est à ce moment
là que tout s'est arrêté.

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