CHAPITRE VI : PETITS PORTRAITS DE RENNES EN FETE
19. Le radis géant
 
        Il y avait autrefois, dans la ville de Condate, un jardinier très pauvre mais qui était aussi très ingénieux. On l’avait surnommé Furlukin bien qu’en fait il s’appelât Denez. 

        Denez Furlukin était plein d’attentions pour le jardin dont il avait à s’occuper. Un jour il s’aperçut que ses légumes poussaient plus vite et devenaient plus gros si on prenait le soin de leur chanter une chanson le soir avant de les laisser dans le froid de la nuit.

 
 
Création Ar Furlukin
        Comme il connaissait la musique et jouait du luth gréco-romain, un instrument celtique de l’époque, Denez Furlukin se mit à exécuter quelques gigues le soir dans son jardin avant de s’en aller traîner dans la rue Saint-Michel où étaient, et où sont toujours les plus fameuses tavernes de Condate. 

        C’est ainsi que se mirent à pousser, sur son petit lopin de terre, des radis géants. Jamais on n’avait vu auparavant en ce bas monde d’aussi énormes radis. Ils mesuraient bien deux mètres de hauteur et pesaient au moins trente kilos chacun leur tour. Oui, oui, chacun leur tour car il n’en pouvait pousser qu’un seul par jour. Mais bon, un radis de trente kilos, découpé en rondelles et vendu au marché des Lices, ça lui rapportait gros, au Denez Furlukin. De quoi pouvoir aller, le soir venu, dans la rue Saint-Michel fréquenter les tavernes avec ses compagnons de fortune. 

 
        Mais voilà qu’un matin, au moment de faire sa récolte, notre ami ne trouva que les fanes du radis : quelqu’un avait volé et peut-être mangé son légume favori, sa source de profit, son petit gagne-pain si durement acquis. Le lendemain, même scénario. Le surlendemain rebelote. Et le quatrième jour, remake américain.

        Comme il était plein de ressources Furlukin décida de surprendre son voleur. Furlukin se cacha dans un coin du jardin et attendit la nuit afin de prendre son voleur-croqueur sur le fait. Et de fait, il la prit la main dans le sac. Car c’était une voleuse.
 
- Vous, Mademoiselle Isaure ? Est-ce bien vous qui faites disparaître mes radis ? 
- Excusez-moi, damoiseau Furlukin mais c’est mon médecin qui m’a conseillé d’en manger afin que disparaisse mon teint bleuâtre. Et vos radis géants sont si jolis, si appétissants, si savoureux… Je n’ai pas pu résister quand je les ai vus. Voilà pourquoi je sors de mon palais la nuit pour venir en croquer et… Vous savez ce qu’est la gourmandise chez les jeunes filles... Une fois qu’on a commencé, on ne peut plus s’arrêter.
 
- Je comprends, mademoiselle Isaure, et je vous pardonne vos larcins passés. Mais je vous déconseille de continuer. Si vous abusez de ces radis géants, vous allez… euh… Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il contiennent une substance qui… euh… Comment vous dire…
- Une substance qui génère des effets secondaires ?
- Oui, voilà, vous avez deviné. C’est comme quand on fume du gouda. Ca génère des effets secondaires, voilà.
 

 
        Bien qu’elle eût été mise en garde par le gentil Furlukin, la demoiselle Isaure ne put s’empêcher de revenir toutes les nuits pour croquer du radis. Certes son teint s’améliora, sa peau devint blanche, puis rose, toute rose, très rose et… Et rose elle a vécu ce que vivent les roses : un jour elle disparut. Purement et simplement. Complètement. Elle disparut. 

        Car ce radis géant, son effet secondaire, c’était bien celui-là : il faisait disparaître celui ou celle qui abusait de sa consommation. Un radis comme la vie, quoi.

        Et c’est depuis ce jour-là, depuis cette histoire-là que tout disparaît dans ce petit coin d’Ille-et-Vilaine où je vis désormais. La ville de Condate elle-même a disparu. Elle est devenue la ville de Rennes où rien ne reste jamais non plus très longtemps en place, à part le maire, Edmond Hervé, qui est là depuis vingt-cinq ans, mais lui, ça ne compte pas, c’est parce qu’il a le pied dans le plâtre.
 
 
          Et maintenant, petit lecteur de Rennes en délires, après cette belle histoire ethnographique et comique il est temps pour toi de cliquer sur ta souris et de te remettre au travail car j’entends ton patron qui approche à grand pas dans le couloir. Fais vite partir le radis géant de ton écran car si ton boss entre dans ton bureau et te voit en train de lire des bêtises, tu auras l’air aussi malin que la fois où il t’a surpris en train de regarder ces dames toutes nues, toutes roses qui elles, au contraire d’Isaure,  s’obstinaient à ne pas disparaître de ton ordinateur…
 
N.B. Ce petit conte sans prétention répond à une consigne d'écriture donnée sur Telerama.fr. (à la rubrique "ateliers"). Vous n'allez pas nous croire mais c'est pourtant vrai : quand Télérama a changé de serveur, tous les fichiers de leurs forums ont disparu ! J'attends leur retour pour pouvoir mettre chez eux cette nouvelle en ligne ! (25-05-2001)       J.P.L.

P.S. Message personnel à Ar Furlukin : ce n'est pas moi qui ai dérobé ton radis géant !
 
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