MM. Joe
Krapov
Chez
M. Jean-Paul Legrand
62, avenue
du Pas-de-Calais
35000
RENNES
Mme
Catherine Tasca
Ministère
de la Culture
Rue
de Valois
75
PARIS
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Rennes le 22 juin 2000
Ma chère Catherine |
Hier, pour ne pas déroger à ce qui est devenu pour moi une
tradition, j'avais choisi de me produire, accompagné de mon fils,
rue du Chapitre, à l'entrée de l'hôtel de Blossac.
Je ne sais pas si tu connais la ville de Rennes, ma chère Catherine,
mais il faut que tu saches tout de suite que dans l'hôtel de Blossac
à Rennes sont hébergés les services du Ministère
de la Culture aux destinées duquel tu présides depuis peu.
Retiens ça, c'est important pour la suite.
Monsieur
Ouest-France, l'échotier local, un bon copain, en fait, qui habite
38 rue du Pré Botté, avait annoncé comme suit notre
prestation dans son édition du jour :
"Zone acoustique (dans les rues du centre) : "Javas folles, valses dingues et chansons pas nettes" avec Joe Krapov du groupe "Les Rats déridés", 15 h à 17 h rue du Chapitre". |
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Au bout de deux chansons, premier couac, indépendant de notre bonne
volonté : le vent fait chuter l'un de nos pupitres, interrompant
ainsi notre interprétation enjouée de "Félicie aussi"
du regretté Fernandel. Après une rapide concertation nous
décidons de pénétrer dans la cour de l'hôtel
de Blossac et trouvons refuge tout de suite à droite après
le porche, le long d'un corps de bâtiment qui nous semble désert.
A peine avons nous enchaîné sur "Le tango stupéfiant"
de la regrettée Marie Dubas qu'un monsieur sort du bâtiment
et va demander à Marie-Madeleine, notre groupie, "si ça va
durer longtemps". Marie-Madeleine lui répond qu'en théorie
c'est de 15 h à 17 h, qu'on est le 21 juin, que c'est la Fête
de la Musique et que l'hôtel de Blossac est un des lieux prévus
pour l'expression des musiques non électrifiées. Le type
traverse alors la cour, s'en va vers le bâtiment principal puis revient
et nous demande poliment mais fermement d'aller jouer plus loin "parce
qu'il y a des gens qui travaillent là et que la musique les gêne
et que, sur le programme officiel scotché sur la porte d'entrée,
il n'est prévu de manifestation musicale qu'à partir de 20
h".
On n'a pas fait d'histoire, on a replié tout notre barda, rangé
les guitares dans les housses, les partoches dans le sac à dos et
on est allé jouer rue de la Psallette, c'est à dire cinquante
mètres plus loin, "La Java bleue" et "Tel qu'il est" de la regrettée
Fréhel.
Tel que je suis parti, ma chère Catherine, je pourrais bien te raconter toute ma journée d'hier, mais ça n'est pas pour ça que je t'écris. Je voudrais, suite au récit de cette petite mésaventure, te poser une question polie et te faire quelques suggestions honnêtes : |
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Le fonctionnaire zélé qui nous a virés de l'hôtel de Blossac, ce mauvais coucheur qui n'a pas supporté qu'on chantât sous ses fenêtres pendant ses heures de digestion (de sieste, aurait suggéré le regretté Coluche), a-t-il selon toi :
r fait
preuve d'un zèle remarquable ?
r fait
preuve d'un zèle excessif ?
r compris
quelque chose au concept de Fête de la Musique ?
(coche la case de ton choix et renvoie-moi le formulaire !)
Pour la Fête de la Musique 2001, ne pourrais-tu pas
r accorder
une demi-journée de repos, l'après-midi par exemple, aux
agents de ton
ministère ?
r leur
confier mission ce jour là de porter aide et soutien logistique
aux musiciens qui
se produisent dans la rue ?
r leur
donner à méditer ce proverbe touareg du district de Rennes
: "Plus je vis en
Intelligence, plus j'ai du mal à supporter les cons. Est-ce que
c'est normal, docteur ?"
Merci de me donner ton avis, ma chère Catherine. Sache que si tu daignes me répondre, je me ferai une joie de diffuser notre échange de courriers sur le site web "Rennes en délires" (http://www.rennes-en-delires.com/) que mon ami Jean-Paul Legrand a posé sur Internet avec le soutien de la ville de Rennes, de Ouest-France et de France-Télécom ! |
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Joe Krapov
P.S. Tant qu'à faire, je te raconte la suite, qui n'est pas triste non plus. Rue de la Psallette, alors que nous étions arrivés à la chanson n° 20, "Le Chat Noir", du regretté Aristide Bruant, un cameraman et un preneur de son sont venus nous filmer, nous enregistrer puis nous interviewer. Nous leur avons chanté "Le Fiacre" de la regrettée Yvette Guilbert et "Le Lycée Papillon" du regretté Georgius. Et puis, quand nous avons terminé notre récital - tu vas rire ! - ils nous ont demandé de jouer la comédie : ils nous ont filmés en train d'arriver, de déballer le matériel, de sortir les guitares des housses, de déplier les pupitres, opération toujours délicate au cours de laquelle on risque soit de se pincer les doigts, soit de s'arracher les cheveux pour comprendre comment ça se déplie, ce truc.
Après ce petit cinéma-là nous avons réellement rangé nos affaires et nous sommes allés prendre un pot à la terrasse du bar "Le Matelot", hilares à l'idée qu'on passerait à la télé dans le "six minutes " d'M6 le soir même ! Puis nous sommes rentrés à Villejean, là où nous résidons. Là j'ai de nouveau vidé mon sac - j'adore vider mon sac ! -. A la place des javas folles et des valses dingues, j'ai mis, dans mon sac à dos rouge, les cahiers de chants de marins. Puis nous sommes allés rejoindre les ami(e)s de Villejean et les Gabiers de Fougères, car notre Fête de la Musique comportait une deuxième prestation cette année. Nous sommes allés manger tous ensemble à la pizzeria de la dalle Kennedy et nous sommes revenus nous poser entre la maison de quartier et la maison de retraite… et là, dis donc, quelle surprise !
La maison de quartier nous a prêté deux chariots de chaises et le public était déjà installé, sagement assis, à nous attendre. J'ai encore une fois déballé mes outils et on ne s'est pas fait prier pour lui envoyer nos vingt-deux chansons de marins. Accordéon, casquettes, maillots rayés, on a dansé, chanté, ri, applaudi et des papys et des mamys de la maison de retraite sont restés à nous écouter jusqu'au bout !
Ensuite tout le monde, public et musiciens, s'est retrouvé à la salle paroissiale prêtée par M. le curé pour manger le kouign-aman, les crêpes, les gâteaux divers et boire cidre, eau, jus d'orange, rhum et vin pétillant. On en a profité pour rechanter les chansons d'amour qui étaient au programme de la Fête de la Musique l'année dernière.
Tu vois, ma chère Catherine, dans des moments comme ça, j'ai vraiment l'impression d'habiter un pays qui s'appelle l'Intelligence ! Alors vive Rennes, vive la Bretagne, et surtout, vive la Fête de la Musique !
Quant au "concierge" de l'hôtel de Blossac, rassure-toi, nous n'irons
pas en représailles chanter la nuit sous ses fenêtres. Mieux,
nous l'avons élu "membre d'honneur (citoyen
donneur
?)" de "Rennes en délires" pour le mois de juin !
Il mérite bien ça !
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