CHAPITRE VI : PETITS PORTRAITS DE RENNES EN FETE
8. La Fête de la Musique de l'an 2000 à Rennes

 

MM. Joe Krapov
Chez M. Jean-Paul Legrand
62, avenue du Pas-de-Calais
35000 RENNES
 
 
Mme Catherine  Tasca
 Ministère de la Culture 
 Rue de Valois 
75 PARIS
 
 

                                         Rennes le 22 juin 2000
 
              Chère Madame le Ministre  
              Chère Madame la Ministre  
              Ma chère Catherine  
  
 
 
         Je t'écris à propos de la Fête de la Musique, une manifestation lancée en 1982 par ton copain Djack, une fête à laquelle je participe régulièrement depuis 1989 en tant que guitariste et chanteur amateur.

         Hier, pour ne pas déroger à ce qui est devenu pour moi une tradition, j'avais choisi de me produire, accompagné de mon fils, rue du Chapitre, à l'entrée de l'hôtel de Blossac. Je ne sais pas si tu connais la ville de Rennes, ma chère Catherine, mais il faut que tu saches tout de suite que dans l'hôtel de Blossac à Rennes sont hébergés les services du Ministère de la Culture aux destinées duquel tu présides depuis peu. Retiens ça, c'est important pour la suite.
 
 Monsieur Ouest-France, l'échotier local, un bon copain, en fait, qui habite 38 rue du Pré Botté, avait annoncé comme suit notre prestation dans son édition du jour :  

"Zone acoustique (dans les rues du centre) : "Javas folles, valses dingues et chansons pas nettes" avec Joe Krapov du groupe "Les Rats déridés", 15 h à 17 h rue du Chapitre".

 
      A l'heure dite, donc, nous nous installons, mon fils et moi, à l'entrée de ton annexe, déployons les pupitres, sortons les partitions, branchons le micro pour le chant sur le petit ampli de dix watts qui fonctionne avec des piles et nous commençons à gratter consciencieusement sur nos deux guitares sèches, non amplifiées, "La plus bath des javas" du regretté Georgius.

         Au bout de deux chansons, premier couac, indépendant de notre bonne volonté : le vent fait chuter l'un de nos pupitres, interrompant ainsi notre interprétation enjouée de "Félicie aussi" du regretté Fernandel. Après une rapide concertation nous décidons de pénétrer dans la cour de l'hôtel de Blossac et trouvons refuge tout de suite à droite après le porche, le long d'un corps de bâtiment qui nous semble désert. A peine avons nous enchaîné sur "Le tango stupéfiant" de la regrettée Marie Dubas qu'un monsieur sort du bâtiment et va demander à Marie-Madeleine, notre groupie, "si ça va durer longtemps". Marie-Madeleine lui répond qu'en théorie c'est de 15 h à 17 h, qu'on est le 21 juin, que c'est la Fête de la Musique et que l'hôtel de Blossac est un des lieux prévus pour l'expression des musiques non électrifiées. Le type traverse alors la cour, s'en va vers le bâtiment principal puis revient et nous demande poliment mais fermement d'aller jouer plus loin "parce qu'il y a des gens qui travaillent là et que la musique les gêne et que, sur le programme officiel scotché sur la porte d'entrée, il n'est prévu de manifestation musicale qu'à partir de 20 h".
 
        On n'a pas fait d'histoire, on a replié tout notre barda, rangé les guitares dans les housses, les partoches dans le sac à dos et on est allé jouer rue de la Psallette, c'est à dire cinquante mètres plus loin, "La Java bleue" et "Tel qu'il est" de la regrettée Fréhel.  

       Tel que je suis parti, ma chère Catherine, je pourrais bien te raconter toute ma journée d'hier, mais ça n'est pas pour ça que je t'écris. Je voudrais, suite au récit de cette petite mésaventure, te poser une question polie et te faire quelques suggestions honnêtes : 

 

         Le fonctionnaire zélé qui nous a virés de l'hôtel de Blossac, ce mauvais coucheur qui n'a pas supporté qu'on chantât sous ses fenêtres pendant ses heures de digestion (de sieste, aurait suggéré le regretté Coluche), a-t-il selon toi :

r fait preuve d'un zèle remarquable ?
r fait preuve d'un zèle excessif ?
r compris quelque chose au concept de Fête de la Musique ?

(coche la case de ton choix et renvoie-moi le formulaire !)

        Pour la Fête de la Musique 2001, ne pourrais-tu pas

r accorder une demi-journée de repos, l'après-midi par exemple, aux agents de ton
       ministère ?
r leur confier mission ce jour là de porter aide et soutien logistique aux musiciens qui
       se  produisent dans la rue ?
r leur donner à méditer ce proverbe touareg du district de Rennes : "Plus je vis en
       Intelligence, plus j'ai du mal à supporter les cons. Est-ce que c'est normal, docteur ?"
 
      Merci de me donner ton avis, ma chère Catherine. Sache que si tu daignes me répondre, je me ferai une joie de diffuser notre échange de courriers sur le site web "Rennes en délires" (http://www.rennes-en-delires.com/) que mon ami Jean-Paul Legrand a posé sur Internet avec le soutien de la ville de Rennes, de Ouest-France et de France-Télécom ! 
 
 
        Bises à toi ! Bien le bonjour à Djack et à Lionel ! A bientôt !

                                                Joe Krapov

P.S. Tant qu'à faire, je te raconte la suite, qui n'est pas triste non plus. Rue de la Psallette, alors que nous étions arrivés à la chanson n° 20, "Le Chat Noir", du regretté Aristide Bruant, un cameraman et un preneur de son sont venus nous filmer, nous enregistrer puis nous interviewer. Nous leur avons chanté "Le Fiacre" de la regrettée Yvette Guilbert et "Le Lycée Papillon" du regretté Georgius. Et puis, quand nous avons terminé notre récital - tu vas rire ! - ils nous ont demandé de jouer la comédie : ils nous ont filmés en train d'arriver, de déballer le matériel, de sortir les guitares des housses, de déplier les pupitres, opération toujours délicate au cours de laquelle on risque soit de se pincer les doigts, soit de s'arracher les cheveux pour comprendre comment ça se déplie, ce truc.

        Après ce petit cinéma-là nous avons réellement rangé nos affaires et nous sommes allés prendre un pot à la terrasse du bar "Le Matelot", hilares à l'idée qu'on passerait à la télé dans le "six minutes " d'M6 le soir même ! Puis nous sommes rentrés à Villejean, là où nous résidons. Là j'ai de nouveau vidé mon sac - j'adore vider mon sac ! -. A la place des javas folles et des valses dingues, j'ai mis, dans mon sac à dos rouge, les cahiers de chants de marins. Puis nous sommes allés rejoindre les ami(e)s de Villejean et les Gabiers de Fougères, car notre Fête de la Musique comportait une deuxième prestation cette année. Nous sommes allés manger tous ensemble à la pizzeria de la dalle Kennedy et nous sommes revenus  nous poser entre la maison de quartier et la maison de retraite… et là, dis donc, quelle surprise !

        La maison de quartier nous a prêté deux chariots de chaises et le public était déjà installé, sagement assis, à nous attendre. J'ai encore une fois déballé mes outils et on ne s'est pas fait prier pour lui envoyer nos vingt-deux chansons de marins. Accordéon, casquettes, maillots rayés, on a dansé, chanté, ri, applaudi et des papys et des mamys de la maison de retraite sont restés à nous écouter jusqu'au bout !

        Ensuite tout le monde, public et musiciens, s'est retrouvé à la salle paroissiale prêtée par M. le curé pour manger le kouign-aman, les crêpes, les gâteaux divers et boire cidre, eau, jus d'orange, rhum et vin pétillant. On en a profité pour rechanter les chansons d'amour qui étaient au programme de la Fête de la Musique l'année dernière.

        Tu vois, ma chère Catherine, dans des moments comme ça, j'ai vraiment l'impression d'habiter un pays qui s'appelle l'Intelligence ! Alors vive Rennes, vive la Bretagne, et surtout, vive la Fête de la Musique !

        Quant au "concierge" de l'hôtel de Blossac, rassure-toi, nous n'irons pas en représailles chanter la nuit sous ses fenêtres. Mieux, nous l'avons élu "membre d'honneur (citoyen
donneur ?)" de "Rennes en délires" pour le mois de juin !

        Il mérite bien ça !

 
 
Retour au menu de Rennes en délires
Retour au menu de 
Rennes en fêtes
Précédent
Suivant