CHAPITRE II : BOUBAT ET LES MYSTERES DE RENNES
10. Le secret de Casanova
 
Photo 4 : Le Paravent, Paris, 1976
 

        Finalement, je suis retourné le voir, le vieux monsieur de la rue de Brest, monsieur Casanova.. Sa maison est facile à retrouver : c'est celle où il y a le mur peint, près du pont au-dessus de la voie ferrée Rennes-Saint-Malo. J'avais repéré aussi le bar de l'Amirauté, à côté, où j'avais mis au propre les notes prises par Anne et Katia au cours de l'entretien. Il fallait bien que l'un de nous se dévoue pour aller lui dire.... Nous étions dans un sale pétrin !

        A l'époque où nous l'avons rencontré, nous faisions partie, tous les trois, de l'atelier d'écriture lancé par le Théâtre de l'Arpenteur pour écrire le "Guide de la ville invisible : Rennes". Et le hasard a voulu qu'Hervé, le metteur en scène, retienne les textes que nous avions produit sur le thème du désir et nous réunisse en un superbe trio pour nous faire écrire les textes de liaison de ce parcours. C'est Hervé aussi qui nous avait incités à aller voir ce vieux monsieur :

- Avec un nom comme ça, il a certainement des choses intéressantes à vous raconter !".

        De fait, ce monsieur Casanova s'est avéré une mine d'or pour nous. Il nous a localisé les anciens boxons de Rennes, Bd de Solférino, rue Duhamel, et un troisième situé dans une rue qui n'existe plus, suite aux bombardements de 39-45, à peu près là où on a construit le centre Colombier.

         Et puis, chez lui, c'est difficile à dire, il aurait fallu prendre des photos… La décoration était… étonnante. On s'y serait cru, dans un claque ! Le secrétaire, mal fermé, débordait de soutiens-gorge (si, si, on écrit des soutiens-gorge comme ça ! Etonnant, non ?), de lingerie fine, de dentelles et de colifichets divers, très très colorés. Et un grand paravent avait intrigué Anne et Katia. Qu'est-ce que ça pouvait bien être, cette longue chevelure qui en dépassait, qui semblait si vraie, presque vivante encore… "On dirait les cheveux de Loreena Mc Kennitt, la chanteuse celte !" m'avait confié Anne à la sortie. Ici en Bretagne, on ne dit pas Ecossaise ou Irlandaise. On dit Celte. C'est comme ça. Y a pas à discuter. D'ailleurs, je ne discute pas.

        Très gentiment, M. Casanova nous avait confié une valise pleine de documents bougrement intéressants : les archives de l'AFAR, l'Agence de Flânerie Amoureuse de Rennes. Nous avons eu un mal fou à faire le tri parmi ces trésors. Finalement, c'est l'éditeur qui nous a aidés à sérier. Il n'a pas voulu reproduire les cartes de l'agence, et pour les textes de liaison, Hervé a demandé des choses très courtes. Mais le problème, le gros vrai de vrai de vache de problème, c'est que la valise nous a été dérobée. Nous l'avions laissée dans le hall du Théâtre et puis nous sommes montés rendre notre copie à Hervé, là haut dans son bureau…

         Alors vous pensez bien que j'étais salement piteux en appuyant sur la sonnette.
- Bonjour monsieur Legrand. Vous avez bien fait de revenir !"

***

        Je vais pouvoir les rassurer, les filles et Hervé. Le vieux monsieur, 80 ans, une pêche du tonnerre, est un féru d'informatique. Il était tout content que je revienne tout seul.
- Entre hommes, il y a des choses qu'on comprend mieux, qu'on peut difficilement expliquer aux dames. Et puis ces deux jolies jeunes femmes, ça avait quelque chose d'intimidant, vous me comprenez, n'est-ce pas monsieur Legrand ?"
Les documents qu'on nous a dérobés, il les avait scannés sur son micro-ordinateur. Tous les parcours de l'agence, tous les itinéraires d'Isaure Chassériau, sa directrice, les photos, les cartes, les notes, il avait mis tout ça sur un site internet qu'il m'a montré.
- Vous pouvez me donner l'adresse http ? " lui ai-je demandé.
- Ah, mais ça n'est pas accessible ! Ce sont des pages fabriquées avec un éditeur de pages HTML mais les données ne sont pas mises en ligne, elles sont juste stockées sur mon disque dur. Quand je me serai acheté un graveur, je vous en ferai peut-être une copie sur cédérom, pour remplacer la valise… Mais vu que vous perdez tout ce qu'on vous confie…"

        En prononçant le mot valise, il a dû repenser à autre chose. Il a semblé blêmir, puis s'est repris.
- Vous n'avez trouvé que des papiers dans la valise ?
- Ben… oui ! Il y avait autre chose ?
- Non non. Tenez, regardez, dans un autre répertoire, j'ai quelque chose d'intéressant aussi. Voilà, c'est là, "Mes documents", "irish dress"…

        Le secret de Casanova ! Ce dont il n'a pas voulu parler à Anne et Katia ! Elles ne me croiront jamais ! Une passion phénoménale pour les costumes de danseuses irlandaise ! Il a surfé des jours entiers pour récupérer sa collection de photos d'Irlandaises sur Internet ! Et dans les lourdes armoires de son appartement, Dieu sait ce qu'il a pu dépenser comme pognon pour en faire venir directement d'Irlande, des robes courtes. Faut dire, c'est superbe ces motifs… euh, comment on dit déjà ? Ah oui, celtiques.

***

         J'ai même eu droit à l'explication pour la chevelure :
- Pour voir ce que donnent les costumes en vrai, j'ai demandé à mon neveu P'tit Louis de me ramener un mannequin. Regardez ce que cet idiot m'a rapporté. Il est allé acheter ça aux "Portes du Paradis".

        Anne n'était pas tombée très loin avec Loreena Mac Kennitt. Sauf que cette chevelure si riche, si frêle, si vivante… c'était celle d'une poupée gonflable !
 

 
 
 
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